Exclusivité : « The 770 – The Lubavitchs of Brooklyn », rencontre avec Sacha Goldberger

Ce mercredi 15 juin, dans le cadre du Festival des Cultures Juives, s’est ouverte à la mairie du 4ème arrondissement de Paris une très belle exposition intitulée « The 770 – The Lubavitchs of Brooklyn ».

the 770 affiche« Le 770 », à Brooklyn, est l’abréviation familière du centre mondial de la communauté Loubavitch, où se trouve la synagogue de rabbi Menahem Schneerson (z’l), disparu en 2002.

Avec cette superbe série de quelques quarante clichés, le photographe Sacha Golberger propose aux visiteurs une immersion dans l’un des courants orthodoxes les plus emblématiques du judaïsme. Et c’est avant l’ouverture au public que Cultures-J.com a pu rencontrer l’artiste dans le cadre d’une interview, et découvrir les coulisses de cette exposition, présentée jusqu’au 9 juillet 2016.

Cultures-J.com : Après des séries  consacrées à la mode, aux portraits, et bien sûr à « Mamika », votre mythique grand-mère, vous revenez aujourd’hui avec « The 770 – The Lubavitchs of Brooklyn ». Pourquoi le choix d’un tel sujet ?

Sacha Goldberger : Mon métier, c’est de raconter des histoires. Quand j’ai fait les séries sur ma grand-mère, je voulais d’abord parler de l’humour Juif dans l’Europe centrale, mais aussi de la vieillesse. Et pendant que je travaillais sur tout ça, sur Mamika ou sur les super-héros flamands, nous avons trouvé intéressant de faire avec Ben Bensimon, avec qui je travaille, une série un peu « à part » sur ma vision du judaïsme, pleine d’humour et de tendresse.

J’ai été élevé avec ma grand-mère et ma mère, et avec les amis de la famille qui venaient de New York,  on s’est toujours beaucoup amusés. Il y avait cette sorte de joie et d’humour que je ne retrouvais pas forcément autour de moi, en France, et que je n’ai pas beaucoup vu dans les médias. La photo peut être un moyen de raconter autrement le judaïsme, de montrer à quel point on peut rigoler, à quel point il y a de la tendresse et de l’humour, et aussi une authentique culture juive d’Europe centrale.

C-J.com : Et à quel point ils sont drôles peut-être, également ?

S. G.:  Quand nous avons commencé à travailler avec Ben Bensimon, nous nous sommes orientés vers les Loubavitch car ce sont ceux qui, symboliquement, nous semblaient les plus représentatifs. Quand je suis allé à Brooklyn, je me suis rendu compte d’abord à quel point ils étaient drôles, mais aussi que la joie et l’humour font partie de leur culture et de leur vie quotidienne.

Les 36 photos présentées ne sont que des mises en scène. Avec Ben, nous sommes arrivés, nous leur avons montré les idées, les croquis, et ils ont tous posés exactement à l’endroit que je leur demandais, comme je voulais, en faisant même parfois des improvisations. Je me suis amusé avec eux.

Cette exposition raconte une histoire, des histoires… Certaines photos parlent du mynian, d’autres du port du chapeau, de la barbe, du Rabbi aussi, de la prière, de l’élévation… J’ai vraiment essayé de traiter un grand nombre de sujets, de façon différente, mais surtout avec tendresse et humour.

C-J.com : Est-ce qu’il a été compliqué de les convaincre ?

S. G.: Au début oui. On arrive en disant que nous sommes photographes, que nous voulons faire une série, etc… La première chose que le rav Zaoui m’a dite, c’est qu’il aimait beaucoup mes idées, mais qu’il fallait faire attention qu’elles ne puissent pas être retournées contre eux, devenir contre-productives en quelques sortes. Il fallait que je fasse attention. Le but de cette série était d’ouvrir l’esprit des gens, et de montrer autre chose aux Juifs, mais aussi aux non-Juifs. Une série d’ouverture, une manière de prendre la parole un peu différemment.

C-J.com : A l’heure du « tout numérique » ou presque, vous avez choisi de travailler en argentique pour cette série. Pourquoi ce choix ?

S. G.: Les photographes professionnels ont de plus en plus envie de sortir du numérique et de revenir vers l’argentique, vers des procédés plus anciens. Cette série se prête totalement à la fois au noir et blanc, et à l’argentique. J’aurais bien évidemment pu la faire en couleur, mais j’avais envie de retrouver un traité, un grain, une image « un peu ancienne », mais en même temps moderne. Et cela correspond parfaitement au sujet : les Loubavitch sont restés dans une époque elle aussi un peu ancienne, mais en même temps, ils sont les premiers à utiliser la technologie, ils sont, dans leurs comportements et dans leurs vies, parfois extrêmement modernes.

C-J.com ! Depuis le moment où vous avez commencé à réfléchir à ce sujet, jusqu’à aujourd’hui, dans cette exposition de l’Hôtel de Ville du 4ème arrondissement, combien de temps s’est écoulé ?

S. G.: Trois ans. Il y a entre six mois et un an de réflexion, de croquis, etc., les voyages à New York pour rencontrer les gens une première fois, puis une seconde… Ensuite l’étape « photo », où j’arrive avec mes équipes pour le shooting, ce qui prends aussi quelques mois, puis les tirages, qui sont tous uniques, faits et encadrés à la main…

Ce n’est pas une série que j’ai faite pour être exposée en galerie. C’est une série qui me tient à cœur puisque c’est mon histoire, et qui se veut pédagogique. Je n’ai pas été élevé dans la religion, mais dans la culture et dans l’humour.

C-J.com : La communauté Loubavitch avait-elle connaissance de vos travaux précédents ? Ont-ils été curieux part rapport à ça ?

S. G.: Tout d’abord, ils ont fait confiance au rav Zaoui, qui m’a introduit. Et puis ensuite, très vite, je leur ai montré ce que je faisais sur le sujet, des polaroids, des croquis… Je les ai en quelque sorte « baigné » dans l’histoire.

Il ne s’agissait pas de leur faire découvrir le résultat à la dernière minute, ils connaissaient toutes ces images. Ii n’y en a qu’une que je ne leur ai pas montré, et qui me fait beaucoup rire, c’est celle d’une brosse à dents avec une barbe. Celle-ci ils ne la connaissent pas, mais sinon je leur ai montré toutes les images au fur et à mesure. Et en les découvrant, ça les a fait rire, et ça leur a aussi donné l’envie de continuer et d’en faire d’autres.

C-J.com : Cette exposition sera-t-elle itinérante ? Pensez-vous la présenter aux Etats-Unis ? Voir même à Brooklyn ?

S. G.: New York a la culture des Loubavitchs, ils sont très habitués à tout ça, comme en Israël. Alors qu’en Europe, on les connait un peu moins.

Je me souviens quand j’étais petit, ma grand-mère me disait toujours : « Attention, ne deviens pas Loubavitch, après tu ne vas plus jamais m’embrasser ». Il y avait une espèce de peur de l’orthodoxe. Mais quand on apprend à les connaitre, on se rend compte que les Loubavitchs sont très ouverts, et bien différents de tout ce que l’on peut imaginer. C’est un mouvement très sympathique, ils font beaucoup de choses pour les pauvres, pour l’éducation, etc. J’ai été très surpris par ce mouvement, surpris positivement, et ils me touchent beaucoup.

C-J.com : Aujourd’hui, votre travail est présenté ici, à l’Hôtel de Ville du 4ème arrondissement, et à la fin du mois ce sera un grande rétrospective qui vous sera consacrée à la gare d’Austerlitz. Deux expositions simultanées à Paris, quel effet cela fait-il ?

S. G.: C’est complètement fou ! A la gare d’Austerlitz, il y aura tout sauf cette série sur les Loubavitchs. Tout d’abord parce que je n’avais pas envie que qu’elle soit exposée de cette manière et finisse peut-être par se retrouver dans une situation délicate, puis ce sont des travaux complètement différents.

La mairie est un endroit institutionnel. Il était important pour moi de présenter les Loubavitchs dans un lieu un peu officiel. J’avais dit à School Gallery, avec laquelle je travaille, que je ne voyais que deux lieux pour présenter cette exposition : soit au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, soit à la mairie du 4ème. Je n’en voulais pas d’autres. Les photos sont tellement décalées, elles racontent une histoire, j’avais vraiment envie de les présenter dans une institution.

Quant à la gare d’Austerlitz, c’est une vraie chance. C’est une très grande exposition, 200 mètres de long, cinq séries, près de soixante images… Une rétrospective à mon âge, c’est rare, mais cela faisait un bon moment que le projet était en cours, et j’ai bien sûr accepté.

Avoir deux expositions au même moment, cela va permettre aux gens de naviguer de l’une à l’autre et de voir d’autres facettes de mon travail. Et en novembre, vous pourrez découvrir une nouvelle série sur laquelle je travaille depuis bientôt trois ans, avec 70 clichés, et qui n’a encore rien à voir avec tout ce que l’on peut voir aujourd’hui.

C-J.com : Quel en sera le sujet ?

S. G.: Ce sera une série sur les jardins secrets à travers les époques. Il y aura seize époques différentes, chaque époque comprenant un dytique avec des portraits.

Propos recueillis à Paris, le 15 juin 2016.

The 770 – The Lubavitchs of Brooklyn, à la mairie du 4ème arrondissement de Paris, jusqu’au 9 juillet 2016.

770 Brooklyn, de Sacha Goldberger.

Si vous désirez aller plus loin :

Mamika & Co., de Sacha Goldberger, aux éditions Place des Victoires. 400 pages. 9,95€.
Mamika, the best, de Sacha Goldberger, aux éditions Fleuve. 248 pages. 49,00€.

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