« La mémoire impressionniste », première exposition consacrée à Julie Manet

Il est des destins étranges auxquels il est bon de rendre justice : tel fut celui de Julie Manet.

Julie Manet est fille de Berthe Morisot, nièce d’Edouard Manet, filleule de Stéphane Mallarmé, et proche dès sa naissance de Monet, Renoir et Degas. De plus, depuis le XVIIIème siècle et l’arrière-grand-père, Clément, la famille bénéficie d’une fortune rondelette.

A priori donc, on la penserait placée sous une bonne étoile. Elle est le modèle favori de sa mère qui l’immortalise dans des décors naturels, comme une sorte d’archétype de la fillette blonde encadrée par les arbres chevelus, l’eau miroitante et le ciel rougeoyant, une véritable égérie de cette peinture qu’un critique d’art désigna sous le nom, au départ péjoratif, d’impressionniste.

Lorsque les parents passent commande à Renoir d’un portrait de leur fille, ce dernier ne se contente pas de peindre ce qu’il voit, mais de rendre toute l’épaisseur psycho-affective dont est nimbée la petite fille.

Il est dit, dès sa naissance, qu’elle est douce et tendre comme un petit chaton ? On voit Renoir à l’œuvre, entre les esquisses et la toile achevée, qui place un chat dans les bras de la petite Julie et qui, systématiquement, transforme la fillette en une sorte de double de l’animal : le sourire est énigmatique et suspendu, les yeux étirés et fascinants, la palette des couleurs, teint du visage, couleurs de la chair, blondeur de la chevelure, s’harmonise tendrement avec celle du poil lustré de l’animal domestique. C’est L’enfant au chat, de 1887.

« L’enfant au chat », d’Auguste Renoir (1887).

Mais en quelques années — cinq ans à peine —, la jeune fille perd successivement son père, sa mère et son subrogé tuteur, le poète Mallarmé. La voilà orpheline et, de plus, l’ultime représentante de la famille Manet.

Heureusement pour elle, ses deux cousines, Jeannie et Paule Gobillard, lui resteront fidèles jusqu’au bout. Heureusement pour elle, les amis artistes répondront présents, dont Renoir. Heureusement pour elle, Julie fera la rencontre d’Ernest Rouart avec lequel elle formera un couple tout à la fois d’artistes et de collectionneurs.

Le destin, l’étrange destin, enlève d’une main mais accorde de l’autre.

Et puis Julie, qui était née dans une famille athée, comme l’était fréquemment la petite bourgeoisie fin de siècle, se convertit au catholicisme. Sa foi, son énergie, et son argent — en tant qu’unique héritière des deux branches Manet, elle bénéficie d’un apport considérable —, Julie va les consacrer à la mémoire de sa mère et de son oncle. C’est grâce à elle, grâce aussi à ses excellentes relations dans le milieu artistique, que Berthe Morisot sera reconnue à sa juste valeur et que ses œuvres entreront dans les collections permanentes de plusieurs grands musées français.

Julie va également accomplir l’un des rêves de sa mère : faire entrer au Louvre La dame aux éventails d’Edouard Manet, dont la côté publique à l’époque n’était pas au plus haut. Sans doute parce qu’elle ne s’était jamais remise du scandale de l’Olympia.

Quatre ans avant sa disparition en 1961, Julie Manet, après des années d’effort et de travail — sa mère était réputée pour détruire une grande partie de sa production dont elle n’était pas satisfaite — parvient à publier le tout premier catalogue raisonné des oeuvres de Berthe Morisot.

Il est des destins étranges auxquels il est bon de rendre justice : telle est l’excellente initiative du musée Marmottan.

Julie Manet. La mémoire impressionniste, jusqu’au 20 mars 2022 au musée Marmottan.

Si vous désirez aller plus loin :

Julie Manet. La mémoire impressionniste, le catalogue de l’exposition par Marianne Mathieu et Claire Gooden, aux éditions Hazan. 224 pages. 45,00€.
Julie Manet. La mémoire impressionniste, hors-série aux éditions Connaissance des Arts. 42 pages. 10,00€.
Berthe Morisot. Le secret de la femme en noir, de Dominique Bona, aux éditions Livre de Poche. 378 pages. 7,30€.
Deux soeurs, de Dominique Bona, aux éditions Livre de Poche. 456 pages. 8,40€.
Julie Manet. Le temps retrouvé (journal, 1893-1899), de Julie Manet, aux éditions Mercure de France. 576 pages. 11,50€.

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