Inspiré des « pouponnières d’Hitler », « La maison aux nouveaux-nés », d’Adriana Allegri

Aussi bien cachés soient-ils, les secrets de famille finissent par ressurgir un jour. C’est juste parce que, un jour de 2006, sa mère, une vieille dame de 86 ans, a l’imprudence de monter sur un tabouret bancal pour ranger une pile de linge que Katrine va découvrir l’histoire de ses origines.

Le pied du tabouret a basculé et Allina Strauss est tombée. Après être venue en aide à sa mère, Katrine redresse le tabouret dont le pied est coincé dans le cadre de la porte de l’armoire. En tirant dessus, Katrine fait bouger une latte de parquet qui dissimulait une cachette : sous le plancher se trouvait un petit coffre en bois de chêne couleur miel, orné d’une swastika. Et, dans ce coffre, tout un univers : un programme d’opéra du festival de Bayreuth, des lettres, des cartes postales et plusieurs  photos, l’une d’Allina en uniforme d’infirmière, une autre d’un homme en uniforme nazi, et d’autres encore d’enfants tout petits et qui faisaient le salut hitlérien. Que signifie ce coffre et son contenu ? Qui était réellement Allina Strauss ? L’histoire de ce livre est celle de la confession de la vieille dame à sa fille.

Allina est née le 14 juillet 1920, elle a passé son enfance à Badensburg en Allemagne, élevée par son oncle Dieter et sa tante Claudia qui ont toujours été très évasifs sur les vrais parents de la petite. Depuis longtemps, Allina est amoureuse d’Albert, son premier amour et son ami d’enfance, qui est banquier. Nous sommes en 1938 et, depuis quelques mois, pour des raisons professionnelles, Albert est parti à Berlin. Et c’est seulement après la mort de Dieter, son oncle, et alors qu’en Allemagne l’arrivée au pouvoir d’Hitler crée une situation anxiogène, qu’Allina apprend la vérité : ses parents étaient juifs, ce qui fait d’elle une « Mischling », une de ceux qui taisent leurs origines juives dans un pays où la judaïté est devenue un crime passible des pires maux.

Heureusement pour elle, Allina possède des faux papiers établis au nom d’Allina Goetlieb, et dont elle apprend qu’ils lui ont été fabriqués par Albert, lequel, s’il est bien banquier, mène aussi des activités clandestines antinazis.

Le village a été dénoncé comme un repère d’activistes et la Gestapo vient faire des rafles. Allina s’enfuit, elle est arrêtée  par des soldats qui veulent la violenter quand s’interpose un officier, le Gruppenführer Gud, qui l’emmène avec lui. Elle se croit provisoirement à l’abri mais l’officier nazi la viole, en proclamant qu’elle aura ainsi l’honneur de porter un enfant de lui. Dans ce but, il la conduit « à Hochland, à Steinhöring, pas loin de Munich, dans une maison du Lebensborn, un des secrets les plus terribles du Reich. »

En quoi consiste le Lebensborn ? Marguerite Ziegler, l’infirmière en chef, va l’apprendre à Allina dès son arrivée : « Actuellement, nous accueillons soixante futures mères et plus de cinquante ayant déjà accouché, mais seul un tiers d’entre elles étaient déjà enceintres à leur arrivée. Les autres ont rencontré les pères de leurs enfants ici. Nous encourageons les officiers SS à visiter Hochland, ou des structures semblables, tous les mois. Certaines de mes filles ont eu la chance de donner naissance à plusieurs bébés, ici même, au service de notre Führer. » Autant dire que le Lebensborn est une usine à bébés. Une sorte de maison close à destination de la démographie nazie.

Car, dans la logique du régime nazi, comme dans tous les régimes totalitaires, la naissance n’est pas un acte d’amour mais uniquement une promesse d’avenir, et, dans chaque enfant qui naît, on voit « un nouveau fils en pleine forme pour défendre la patrie… Ou une fille en pleine forme pour donner naissance à la prochaine génération de fils.« 

C’est Henrich Himmler lui-même, le numéro deux du régime, qui était le concepteur du projet dès les années trente. Les hommes n’étaient que des étalons reproducteurs et les femmes n’étaient que des poules pondeuses. « Le 30 septembre 1941, 4,7 millions de femmes ont été décorées de la Croix de la mère allemande. Elles appartenaient au Kaninchenorden, l’ordre du lapin, désignant ces femmes qui procréaient rapidement.« 

De plus, dans le cadre du Lebensborn, les bébés sont silencieux parce qu’on leur inculque la discipline, dès le plus jeune âge. « Avant midi, tous les bébés devaient être allaités deux fois, lavés, mesurés, pesés, changés, et emmenés dans le jardin pour profiter de l’air frais. » Et cela en vertu du principe directeur « Au départ, tous les bébés ont des besoins différents (…) Mais nous nous assurons que les besoins de tous s’alignent avec nos horaires au fil du temps. » Par la suite, les bébés sont adoptés par des familles allemandes. « Développer un attachement émotionnel n’est utile ni à la mère ni au petit. »

Par chance pour elle, Allina n’est pas enceinte, et elle aura la chance de rencontrer le Gruppenführer Von Strassberg qui, lui aussi, est un « Mischling » ainsi qu’un opposant au régime nazi. Elle l’épousera, donnera naissance à Katrine, et l’aidera à sauver le plus possible d’enfants de cette dictature rose que représentaient les Lebesborns.

Un roman poignant parce qu’il illustre un des épisodes les moins connus de la Seconde Guerre mondiale mais non des moins atroces.