L’Histoire est la meilleure des romancières pour peu qu’on sache s’en faire le confident : en témoigne cet excellent récit dont on ne peut que se demander, tout du long, si les détails en sont exacts.
L’auteur s’en explique à la fin : tout est parfaitement authentique, exception faite de certains dialogues qui, pour les besoins de la cause, ont été reconstitués ou imaginés.
Commençons par la trame du roman : le 22 février 1943, la toute jeune — mais déjà très talentueuse — violoniste japonaise Nejiko Suwa, se voit offrir, des mains de Joseph Goebbels, un Stradivarius, symbole de l’alliance entre les deux nations alliées, et symbole aussi de la charge politico-symbolique que le régime nazi accordait à la musique. La jeune femme est évidemment comblée par le cadeau mais, très vite, se produit un phénomène inexplicable : quels que soient son talent, sa virtuosité et sa patience, Nejiko Suwa ne parvient pas à s’approprier totalement le violon, comme si, d’une certaine façon, il appartenait à quelqu’un d’autre. Ce n’est pas pour rien, affirment les luthiers, que les violons possèdent une âme : ils sont vivants et gardent en mémoire, dans toutes leurs fibres, la présence diffuse de celui qui, le premier, les fit chanter, sa façon de jouer, son rythme, ses appuis, ses réflexes.
Assez rapidement, Nejiko s’en ouvre à ses proches : amis, luthiers ou professeurs, tous lui confirment qu’un violon est un assemblage de bois qui s’accorde, ou pas, avec celle ou celui qui s’en empare.
Durant toute la Seconde Guerre mondiale, Nejiko Suwa va séjourner à Paris, Berlin, Tokyo, et il lui faudra attendre la fin du conflit pour se voir confirmer, de la bouche du narrateur, que le violon appartenait à un jeune juif, Lazare Braun, à qui les nazis l’avaient dérobé avant de déporter et de gazer le malheureux propriétaire de l’instrument.
Non seulement, en elle-même, cette trame narrative est passionnante, mais l’auteur a adopté un dispositif d’écriture très étonnant : le narrateur du récit, Félix Sitterlin, trompettiste de jazz, ne rencontrera la jeune femme qu’en décembre 1945, soit bien longtemps après qu’elle ait reçu le violon des mains du dignitaire nazi. Si bien que toute l’évolution personnelle de la jeune violoniste, ses doutes, ses questions, ses angoisses, nous est transposée, imaginée, reconstituée, à partir des faits historiques et du journal intime du personnage, comme si nous-mêmes, lecteurs, étions conviés à une sorte de vaste reconstitution psychanalytique de ce qui se jouait entre la violoniste, son instrument et l’Histoire. Comme une sorte de jeu de miroir, entre la réalité et la fiction, entre la véracité historique et la logique romanesque.
Et au surplus, ce roman, brillant, intelligent, malin, pose le problème de l’art devant l’actualité, de la façon dont on peut interpréter la musique en termes politiques, militants, nationalistes, et tirer Wagner ou Beethoven du côté d’une logique dont ils n’avaient cure.
Il pose également, à travers la jeune violoniste, le problème rarement abordé de ceux qui connurent le régime nazi sans l’approuver, et tentèrent, à leur façon, de montrer leur désapprobation sans pour autant risquer leur vie.
Outre Nejiko Suwa, on croise Wilhem Furtwängler qui, s’il continua à diriger dans l’Allemagne hitlérienne, refusa néanmoins d’aller jouer dans les territoires conquis par les nazis et qui, au final, faillit connaître la déportation durant la guerre mais également, après cette dernière, faillit finir en prison — c’est entre autres l’intervention de Yehudi Menuhin qui le sauva. Furtwängler, tout comme Nejiko Suwa, argumentait qu’il servait Beethoven… et non Hitler.
Le Stradivarius de Goebbels, un excellent premier roman en tous points passionnant.
Le Stradivarius de Goebbels, de Yoann Iacono, aux éditions Slatkine et Cie. 268 pages. 17,00€.
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