Le 19 mai 1914, Miriam-Alexandrine de Goldschmidt-Rothschild, amateur d’art depuis toujours et grande collectionneuse — surtout depuis son divorce — fait l’acquisition de soixante-trois aquarelles de Gustave Moreau illustrant des fables de La Fontaine.
Les œuvres en question avaient été commanditées par Anthony Roux, et c’est lors d’une vente aux enchères, juste après le décès de celui-ci, survenu l’année précédente, que la Comtesse ajouta Gustave Moreau à sa collection. Avant elle, une seule aquarelle avait été vendue à un particulier.
Dès 1936, elle lègue l’une des aquarelles au tout jeune musée Gustave Moreau, les soixante-deux autres sont dispersées dans ses trois propriétés françaises.
Mais la guerre arrive, et l’occupation allemande. Les nazis s’emparent de vingt-huit aquarelles. Ces œuvres disparaitront à jamais, on n’en possède plus aujourd’hui que des photographies.
Et cette exposition nous permet de découvrir, pour la première fois depuis 1906 — et peut-être pour la dernière fois — les trente-cinq aquarelles subsistant du grand projet de Gustave Moreau.
Au départ donc, un travail de commande : celle d’Anthony Roux. Depuis quelques années, ce dernier rivalise avec son grand ami Charles Hayem, héritier des chemiseries alsaciennes fondées par son père, juif alsacien : c’est à lequel des deux possédera la plus belle collection, et saura le mieux défendre l’art novateur de l’époque. Ils sont éblouis par la production de Gustave Moreau. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que, après quelques pérégrinations, Anthony Roux en vienne à cette commande pour illustrer les fables de La Fontaine.
L’aquarelle est, pour Gustave Moreau, une sorte d’accomplissement. Jules Breton le soulignera, dans son essai Nos peintres du siècle : « Son triomphe, c’est l’aquarelle. » Il suffit, pour s’en convaincre, de se souvenir de L’apparition qui fit l’admiration de J.K. Huysmans, et la source d’inspiration d’À rebours.
Plus qu’une simple illustration, l’image réunit une véritable dramaturgie : Le savetier et le financier réunis dans un même espace, et mis en valeur par la diagonale de la perspective ; Les grenouilles qui demandent un roi instantanément saisies dans l’instant où elles se prennent à regretter leur demande…
Le paysage ambiant n’est pas qu’un pur et simple décor mais le prolongement de la tension dramatique : l’étonnant crépuscule pâle qui prolonge la désillusion du Renard et les raisins, ou l’empilement d’objets hétéroclites tandis que les rats tiennent conseil.
Et puis, comme souvent lorsqu’on nous permet de voir l’évolution du travail de l’artiste, depuis les premières esquisses jusqu’à l’œuvre achevée, nous assistons à la métamorphose. Celle qui mène à un usage de l’aquarelle tout à fait inédit et profond : les chevaux délicatement ciselés par la matière picturale dans Le coche et la mouche, ou bien l’intense profondeur de l’arbre, désarticulé avant même que de chuter, dans Le chêne et le roseau.
Les aquarelles de Gustave Moreau constituent une belle et subtile exposition dans le cadre enchanteur de l’un des plus beaux musées parisiens.
Gustave Moreau. Les fables de la Fontaine, jusqu’au 28 février 2022 au musée Gustave Moreau.
Si vous désirez aller plus loin :
Gustave Moreau. Les Fables de la Fontaine, le catalogue de l’exposition, aux éditions In Fine. 320 pages. 39,00€.
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