« Un fauve dans Rome », le grand incendie de la Ville éternelle, par Nathalie Cohen

Certes, on n’est pas dans « Tite-Live » mais, pour autant on est tout de même bien loin d’Astérix.

Nous avons plutôt affaire à ce qu’on pourrait nommer un « roman historique », mais d’une rare facture puisqu’il n’est pas fréquent, pour un lecteur, de se trouver ainsi plongé en immersion dans la Rome de l’antiquité.

Même les repères spatio-temporels (soixante-quatrième année de notre ère, les différents quartiers de Rome…) ne nous sont indiqués que sous leur appellation latine, ce qui donne aussitôt à ce roman un caractère d’exigence : on ne nous « facilite » pas la tâche, on ne nous guide pas par la main, comme trop souvent dans les ouvrages historiques de vulgarisation.

À aucun moment Nathalie Cohen ne s’autorise d’anticipation temporelle pour rapprocher les faits rapportés d’une réalité qui serait plus familière à son lecteur. Elle nous raconte, à la hauteur des personnages, le quotidien des édiles, des soldats, des vestales, du peuple ou des esclaves.

Dans Rome la puissante règne Néron, Empereur dément dont on sait qu’il a sacrifié à sa soif de pouvoir ses propres parents. C’est l’été et, comme tous les étés romains, il fait une chaleur de four dans la ville. Marcus Tiberius Alexander est, par intérim, préfet des vigiles. En tant que tel, il veille à contenir les débuts d’incendie. Mais l’un d’eux est plus puissant, plus meurtrier, plus catastrophique : un vrai fauve dans Rome !

Marcus est le fils adoptif d’une famille patricienne ; sa sœur, Gaïa Cornelia, est une grande vestale ; son frère, Lucius Cornelius Lupus, est proche du pouvoir.

Très peu de gens connaissent réellement les origines de Marcus. C’est un peu comme si l’homme portait en lui tous les stigmates de la malchance : il est bègue, il a les yeux vairons, il est « juif de naissance, issu du quartier Delta d’Alexandrie, esclave en fuite », on l’a marqué au fer rouge à la base du crâne parce qu’il avait tenté de s’enfuir, et on lui a  brulé la langue parce qu’il « refusait d’ouvrir la bouche pour satisfaire les hommes ».

C’est cet homme meurtri, ayant réussi à dominer ses peurs enfantines, dont Gaïa est tombée amoureuse et avec qui, dans le plus grand secret, elle a eu un enfant. C’est cet homme courageux, devenu défenseur des innocents, que poursuit de sa haine Lucius, dont l’index droit s’orne d’une bague à l’effigie du loup : un autre fauve dans Rome !

Ainsi, cet été-là s’étend, follement meurtrier, le fameux grand incendie de Rome. On assiste à l’émergence d’une rumeur : celle selon laquelle l’Empereur Néron lui-même aurait mis le feu à sa propre cité. On assiste, dans les arcanes du pouvoir, aux stratégies pour atténuer la dite rumeur et le mécontentement populaire : il suffit d’abaisser le prix du blé pour les mois à venir et de se livrer à une distribution de vin gratuit.

Même les spectacles peuvent être utiles : on peut tout à fait tolérer — et favoriser — les farces burlesques brocardant les travers de l’Empereur. Si le peuple rit, après tout, il oublie de se révolter.

Puis l’on assiste à la création de toute pièce d’une rumeur contraire. Déjà, à l’époque, quand on ne savait pas qui rendre responsable, il était pratique de dénoncer les juifs. Puisque certains juifs se sont réjouis de la destruction de la puissance romaine, il est facile d’imaginer qu’ils en sont les auteurs. D’autant plus qu’ils vivent majoritairement de l’autre côté du Tibre. Comme s’ils avaient choisi d’habiter un ghetto !…

Qui est le pire fauve dans Rome : l’incendie ? Lucius ? Néron ? Le pouvoir ?

Ce roman est une étonnante plongée au cœur d’un système de vie que l’on ne connaît d’ordinaire qu’à travers le prisme édulcoré des péplums et, tout à la fois, une sorte d’amer constat : depuis ses origines les plus lointaines, le pouvoir s’est toujours nourri de complots, de mensonges et de meurtres impunis.

Un fauve dans Rome, de Nathalie Cohen, aux éditions Flammarion. 352 pages. 22,00€.

Et si vous désirez aller plus loin :

Histoire de la Rome Antique. Les armes et les mots, de Lucien Jerphagnon, aux éditions Fayard. 620 pages. 11,20€.
Flavius Josephe, le juif de Rome, de Mireille Hadas-Lebel, aux éditions Fayard. 306 pages. 20,30€.
Le dernier jour de Rome, d’Alberto Angela, aux éditions Harper Collins. 448 pages. 20,90€.
La guerre des juifs, de Flavius Josephe, éditions indépendantes. 346 pages. 21,10€.
Néron, de Catherine Salles, aux éditions Perrin. 288 pages. 23,00€.
Flavius Josephe, de Patrick Banon, aux éditions Presses de la Renaissance. 432 pages. 23,50€.

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