Lautrec, c’est un peu comme le loup blanc : bien sûr, on le connaît, mais seul le diable sait pourquoi. Et cette exposition du Grand Palais vient à point nommé pour nous remémorer l’étrange destin de ce grand peintre et dessinateur.
Henri de Toulouse-Lautrec est un enfant de la noblesse. Une noblesse dont il héritera la tare de la consanguinité : deux fractures successives, de l’une puis de l’autre jambe, révéleront la maladie héréditaire qui ne lui laissera jamais dépasser la taille d’un mètre cinquante-deux.
Heureusement pour lui que, dès la plus tendre enfance, il éprouve le désir de création. Le destin lui a brisé les jambes, mais dans le même temps il lui a donné des ailes ! Tout jeune déjà, à neuf ans à peine, il dessine et peint en abondance. Il n’a pas vingt ans qu’il sait déjà quel est son idéal et son but, parodiant une pompeuse allégorie de Puvis de Chavanne dans laquelle il se représente lui-même, de dos, en train d’uriner ! Il ne provoque pas, il se sait simplement différent !
A partir de là, tout est dit. Lautrec peint comme on court : vite ! Et il a tout intérêt car le temps lui est compté. Même ses huiles resteront légères sur la toile, parfois presque délavées, à la manière d’une aquarelle, en tout cas posées comme du fusain, avec quoi parfois on peut les confondre : Lautrec glisse sur la toile comme il va glisser sur la vie…
Très vite, en quelques années à peine, il se défait de ses influences majeures que sont Degas et Manet, et il se met à représenter un univers en frémissement. Quelque chose qui, de plus en plus, au fur et à mesure, se rapprochera du tout jeune cinématographe ou, par moments, annoncera le graphisme de la bande dessinée.
Même ses portrait d’homme, que l’on pourrait craindre « académiques », se caractérisent par une sorte d’élan interne : le personnage semble se mouvoir, entre un sol qui se dérobe, des portes systématiquement entrebâillées ou totalement ouvertes, et une perspective qui aspire l’horizon.
Dès 1887, année charnière, Lautrec, qui n’a pas trente ans, est découvert par les belges, amateurs d’art de tous temps beaucoup plus audacieux que les français. La société des XX lui donne le tremplin qu’il méritait et, juste au moment où son malheureux frère d’armes, Vincent Van Gogh, s’en va mourir dans un ailleurs, lui, Lautrec, survit et grimpe les échelons du succès.
Avec ses quelques proches amis de la Revue Blanche, pour la plupart des intellectuels juifs, il défendra, pinceau à la main, Dreyfus et Oscar Wilde : on a les combats que l’on mérite.
Et puis, la grande chance de Lautrec, ce sera l’univers de la nuit parisienne, celui des cabarets d’abord, puis celui des maisons closes. A défaut d’être grand par la taille, Lautrec le sera par l’inventivité. Des affiches géantes aux couleurs attirantes vont vanter les mérites des princes et reines de la vie parisienne : Bruant, Yvette Guilbert, Valentin le désossé, la Goulue…
Mais surtout, pour Lautrec, toute sa vie durant, telle une quête ininterrompue, il y aura les femmes : les femmes vont « faire Lautrec », et donc, à son tour, il « fera les femmes ». Sans complaisance mais sans cruauté. Les femmes, chez Lautrec, sont fortes, dures, épaisses, massives, comme disposées à faire un clin d’œil au futur Picasso.
Et puis il s’en ira, trop imbibé d’alcool pour supporter le monde – à moins que ce ne soit l’inverse -, à trente-six ans, dessiner des étoiles dans un autre univers…
Toulouse-Lautrec. Résolument moderne, jusqu’au 27 janvier au Grand Palais.
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