Dans l’entrée même de l’exposition figure une photographie géante du Pape Pie XII, vu de dos, les bras grand-ouverts, dans une posture christique, en légère plongée, face à une foule aux regards extasiés. Et d’emblée se pose l’inévitable question : « Pourquoi ? »
Pourquoi celui-ci, Pie XII, n’a-t-il rien dit ? Pourquoi les autres dignitaires religieux, aussi bien catholiques que protestants ou orthodoxes – eux qui étaient bien placés pour savoir ce qui se tramait dans la grande nuit glacée d’Auschwitz ou de Mauthausen -, pourquoi n’ont-ils rien dit ?
Quand on se prétend chrétien et que l’on prêche le pardon des offenses, la clémence divine et l’amour du prochain, il paraît impensable de laisser se perpétrer le massacre de millions d’innocents sans protester. Alors pourquoi ?
A cette question lancinante, la nouvelle exposition du Mémorial de la Shoah tente d’apporter une réponse dont la qualité majeure consiste à être nuancée.
Nina Valbousquet et Caroline François, les deux commissaires de l’exposition, nous permettent de sortir des clichés. « Sortir des clichés » dans tous les sens du terme, tout à la fois produire au grand jour des images totalement ou partiellement inédites, et puis, dans le même temps, échapper aux stéréotypes concernant le rôle – ou l’absence de rôle – des Eglises officielles durant la période nazie.
Certes, en ce qui concerne l’église catholique, de façon multi séculaire elle considérait les juifs comme responsables de la mort du Christ, et coupables de déicide. Dès 1215, le Pape Innocent III instaure l’obligation pour les juifs de porter un signe distinctif de couleur jaune. Ce qui fait de lui, en quelques sortes, l’ancêtre des lois de Nuremberg.
On découvre ainsi sur le vitrail de l’église saint Etienne du Mont, à Paris, un détail qui montre un juif portant un chapeau jaune, en train de profaner une hostie. Et encore, au portail de la cathédrale de Strasbourg, deux motifs qui s’opposent : celui de la synagogue aveugle, symbole de la faute supposée des juifs, et L’Eglise triomphante.
Il faudra attendre Vatican II pour que Paul VI supprime cette mention d’un antisémitisme considéré comme une évidence de l’Histoire.
Mais pour autant, il ne faut pas simplifier les faits. L’église catholique ne fut ni dupe ni complice. Il y a, d’une part, l’Eglise, l’institution, et, d’autre part, les fidèles. Impossible de confondre intimement les deux. Il existe autant d’attitudes différentes que d’individus ou presque. Même si Adolf Hitler était de confession catholique, et qu’on le voit sur une photo, sortant d’une église dans les années 30, pour autant, le Christ n’est pas condamné à porter sur ses épaules une croix gammée, comme le suggère la caricature parue en couverture de Lu dans la presse universelle en 1935.
Au sein même du clergé allemand, les ambiguïtés furent nombreuses et les positions très diverses : de Ludwig Muller tout fier, au milieu des bras sinistrement tendus vers le ciel, de serrer la main de son führer, à Monseigneur Von Galen qui s’opposa de façon ferme au programme d’euthanasie T4.
Certes, il exista parfois de lourds non-dits. Le Cardinal Baudrillart, au sujet de la rafle du 20 août 1941, écrivait :
« Ce n’est pas que la question juive n’existe pas […] et ne demande pas de solution. Mais que cette solution soit humaine.«
Ce qui revenait à admettre la nécessité d’une solution, pourvu qu’elle ne fut pas finale !
Certes, il exista parfois rien moins qu’une réelle collaboration. En témoigne le vitrail de Notre-Dame de Lourdes, à Romans sur Isère, dans lequel la croix est une francisque pétainiste. A la libération, le vitrail ne fut pas détruit mais, à l’aide de quelques traits de plomb, le sinistre motif fut transformé et rendu anecdotique.
Pour les autorités religieuses, le problème posé par le nazisme devint crucial autour de la question des convertis : pour les catholiques, un juif converti faisait automatiquement partie des fidèles et, en tant que tel, devait bénéficier de la protection du clergé. Pour les nazis en revanche, un juif, même converti, restait un juif ; et en tant que tel était susceptible de subir la répression mise en œuvre.
Entre la première salle de cette riche exposition et la seconde se trouve un long couloir parsemé de citations terribles au sujet du silence des religions.
Au fur et à mesure de l’avancée du visiteur, le couloir s’éclaire tandis qu’une voix récite les citations, comme si l’on passait progressivement des ténèbres épaisses à l’espoir de la survie.
Car, s’il y eut des non-dits, s’il y eut des silences, il y eut également des actes de résistance héroïque. Des actes significatifs montrant que certains savaient « pleurer avec ceux qui pleurent » comme l’écrivait Elizabeth Schmidt en 1941. Tel par exemple le parcours du père Jacques, dont Louis Malle nous conta jadis l’histoire dans Au revoir les enfants ; tel encore l’histoire de Kurt Gernstein, membre de la Waffen SS, qui avait choisi de combattre le nazisme de l’intérieur, et qui fut le témoin d’assassinats de masse à Belzec – témoignage qui ne fut pas retenu par les dignitaires religieux… Cette histoire donna lieu à une pièce de théâtre, Le prélat, puis au très beau film de Costa Gavras, Amen.
« Dans ce pays de fenêtres étranges
Louis Aragon, « Le médecin de Villeneuve (en français dans le texte) »
Il fait trop nuit pour qu’un sanglot dérange
Les jardins clos qui sont des cœurs murés
Tout est de pierre et tout démesuré
Dans ce pays de fenêtres étranges. »
Beaucoup luttèrent et témoignèrent à leur façon, selon leurs forces et leurs possibilités, quitte à en mourir. Et il est impossible de reprocher aux prélats catholiques, protestants ou orthodoxes, une position complice. Dans cette histoire, comme souvent dans l’Histoire, le maître mot fut l’ambivalence.
À la grâce de Dieu. Les Églises et la Shoah, actuellement et jusqu’au 23 février 2023 au Mémorial de la Shoah.
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