“Adieu Monsieur Haffmann”, entre confinement et confinement…

Il n’est pas rare de voir une pièce de théâtre à succès portée à l’écran. Les exemples sont nombreux. “Adieu Monsieur Haffmann”, récompensée par quatre Molière en 2018 et toujours à l’affiche en 2022, ne fait donc pas figure d’exception.

Et comme c’est souvent le cas, avec chaque adaptation vient son lot de libertés… Mais peu importe puisque souvent elles amènent des éléments complémentaires à ce que l’espace confiné d’une scène de théâtre autorise difficilement.

Jouée pour la toute première fois au printemps 2018 sur les planches du Petit Montparnasse, Adieu Monsieur Haffmann ne cesse depuis lors d’être représentée. Et si c’est toujours un succès, c’est qu’il y a une raison !

Aussi, lorsqu’il la découvre très tôt, Fred Cavayé, ami de longue date de l’auteur et metteur en scène Jean-Philippe Daguerre, se montre intéressé. Depuis longtemps, il cherche à réaliser un long-métrage sur l’Occupation allemande, mais vu du côté des “salauds” comme il le dit lui-même, et non du côté des Résistants ou des Justes, comme cela est souvent le cas. 

« Je vois la pièce et je découvre que ce n’est pas vraiment le sujet. Je me l’étais raconté tout seul ! Le texte était vraiment formidable mais j’avais envie de l’emmener ailleurs. Ce que Jean-Philippe m’a autorisé à faire en m’offrant toutes les libertés possibles. […] J’ai donc gardé le point de départ d’Adieu Monsieur Haffmann et fait évoluer les personnages différemment, surtout celui de François. »

Fred Cavayé, réalisateur.

Pour celles et ceux qui ont eu la chance de voir la pièce de théâtre, on notera en effet un certain nombre de différences, qui toutefois n’enlèvent rien au sens suspens de l’histoire. 

Dans sa version cinématographique, Fred Cavayé plante le décor à la fin de l’année 1941, alors que le port de l’étoile jaune n’est pas encore décrété. Juif, craignant pour sa sécurité et celle de sa famille, Joseph Haffmann décide d’aryaniser sa bijouterie en la “revendant” à son employé, François Mercier. Une belle aubaine pour le jeune homme, qui ne rêve que de posséder son propre commerce et fonder une famille avec son épouse, Blanche. De plus, la bijouterie Haffmann a déjà une belle réputation. Une fois la guerre terminée, les deux hommes pourront toujours rendre caduc le contrat établi, restituant au propriétaire légitime l’ensemble de ses biens, appartement et toile de Claude Monet inclus. D’autant plus que c’est Joseph Haffmann qui a donné à François l’argent nécessaire à l’achat de sa propre boutique. Bien étrange période que celle-ci…

Seulement voilà, les choses ne se déroulent pas tout à fait comme prévu. Alors qu’il devait rejoindre son épouse et ses enfants réfugiés en Suisse, Joseph Haffmann est lâché par son passeur, et son train bloqué par les allemands. Retour à la case départ.

Dans un Paris occupé, ne cachant pas sa sympathie pour les allemands et leur argent, François Mercier se retrouve contraint de cacher son ex-employeur dans la cave de ce qui est désormais son domicile. Un acte de résistance et de courage dont il se serait en réalité bien passé, mais qui pourrait se montrer propice à un bien étrange marché.

Après le temps de la complaisance vient celui de la défiance. Et celui que l’on cachait pour lui venir en aide se retrouve petit à petit séquestré.

Un clandestin chez lui en quelque sorte. Mais comme le dit si bien Joseph Haffmann : « la peur peut changer de camp. »

Pour porter à l’écran ce « thriller intime » comme il le qualifie lui-même, Fred Cavayé a fait appel à un panel de valeurs sûres : Sara Giraudeau, Gilles Lellouche, qui signe ici sa troisième collaboration avec le réalisateur, ou encore Daniel Auteuil, acteur doublement césarisé et dont le choix s’est presque imposé de lui-même : 

« […] il y a un truc qui me fascine au cinéma, c’est la rencontre de ‘monstres’ de cinéma. Et franchement, Daniel fait partie des patrons ! La rencontre de ces deux-là, au sommet de leur génération, me passionnait. En plus Daniel étant plus âgé, leur rapport hiérarchique s’établissait naturellement ».

Fred Cavayé, réalisateur.

En partie tourné dans le 18ème arrondissement de Paris et interrompu à partir du 13 mars 2020 en raison du premier confinement — au même titre que le film Eiffel, de Martin Bourboulon, avec Romain Duris —, les rues montmartroises se sont retrouvées figées dans une sorte de décor alternant vieilles enseignes et propagande vichyste. Une histoire de confinement en période de confinement.

« […] ce décor à Montmartre ne va pas pouvoir rester indéfiniment monté en l’état. Même s’il est devenu après les mesures de confinement un lieu de visite, il a aussi été un peu dégradé. On a pris la précaution par exemple de retirer les affiches à caractère antisémite de l’époque. On a retiré tout ce qui pouvait être ostentatoire avant de partir. Pour ne rien vous cacher, j’aimerais que le film ait autant de notoriété qu’a eu ce décor. […] Il y a eu une telle couverture médiatique sur cette rue, j’ai eu des appels des Etats-Unis, il y a eu des sujets dans la presse, à la télévision, sur internet… C’est un très bon chef décorateur qui l’a conçu, avec lequel j’ai fait tous mes films. Il a même des collaborateurs qui viennent faire des retouches le week-end si des dégradations ont été constatées, incroyable. Je vais d’ailleurs pouvoir trouver grâce à ce décor des solutions pour ne pas tourner avec des figurants prévus à l’origine. »

Fred Cavayé, réalisateur.

Si ces longues semaines de confinement lui auront permis de monter environ 80% du film, c’est avec une équipe diminuée de moitié que le tournage a pu reprendre, obligeant le réalisateur à repenser certaines scènes, et le scénariste les dialogues. Une scène de rafle par exemple, impliquant cent-cinquante figurants, a dû être repensée

« […] j’avais prévu de reconstituer la rafle du Vel d’hiv avec 200 figurants, eh bien j’ai trouvé une solution beaucoup plus sobre, et qui marche mieux, du moins on verra… Même chose pour une scène de cabaret avec 70 figurants qui seront réduits à quatre. »

Fred Cavayé, réalisateur.

Quoiqu’il en soit, si Adieu Monsieur Haffmann est un succès sur les planches depuis quatre ans, on peut en dire la même chose de son adaptation cinématographique, qui a déjà attiré plus de 750.000 spectateurs depuis sa sortie en salle le 12 janvier 2022. 

Adieu Monsieur Haffmann, de Fred Cavayé. En DVD le 18 mai. 110 minutes.

Si vous désirez aller plus loin :

Adieu Monsieur Haffmann, de Jean-Philippe Daguerre, aux éditions Magnard. 128 pages. 5,40€.
Le petit coiffeur, de Jean-Philippe Daguerre, aux éditions Albin Michel. 144 pages. 12,00€.

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