« Édition limitée » : Ambroise Vollard, un marchand d’art visionnaire…

Ambroise Vollard n’était destiné à rien : c’est le meilleur moyen d’être prêt à tout. Et pourquoi pas marchand d’art ? Mais, dans le cas de ce natif de la Réunion, l’appellation est quelque peu restrictive.

L’art, Ambroise Vollard ne se contenta pas de le vendre : il le favorisa, l’épaula, le finança, voire il l’inspira. Comme dans le cas d’un Marin Karmitz au cinéma ou d’un Georges Martin en musique, Ambroise Vollard fut l’ami, le complice, le mentor des artistes.

D’abord, bien entendu, il ouvre sa galerie — ses galeries successives — à toute une nouvelle vague, fût-elle impopulaire à l’époque, celle des Cézanne, Van Gogh, Gauguin, ou Matisse. Et même à de jeunes chiens fous qui devaient par la suite s’unir sous l’appellation de « nabis » : Bonnard, Denis, Ranson, Roussel, Sérusier, Vuillard… C’est qu’Ambroise Vollard a du goût, un goût sûr et éclairé, une générosité foncière et un appétit d’avenir. Il sait, il ne doute pas, que tous ceux-là, méconnus pour l’instant, tout jeunes, encore fébriles, seront les grands de demain. Il va jusqu’à encourager ce petit réfugié espagnol si étrange qu’il déconcerte, un certain Pablo Picasso.

Et puis, il a des idées, des idées stupéfiantes, critiquées, malmenées : Vollard veut offrir aux artistes l’occasion de découvrir d’autres techniques. Et parmi celles-ci l’estampe.

L’estampe est connue et pratiquée depuis longtemps : la taille douce, la taille d’épargne, la lithographie ou l’eau forte sont, en général, affaires de spécialistes. On fait des estampes par défaut, parce qu’on ne se lance pas dans le grand œuvre qu’est la peinture à l’huile. Vollard pense, tout au contraire, que l’estampe est une voie à suivre : d’abord, elle permet un travail plus rapide, elle autorise une diffusion plus facile, elle offre des tarifs abordables pour acquérir une œuvre d’art. L’estampe peut être un chemin d’accès à la notoriété. Mais Vollard pense également que, pour un artiste, la diversification des techniques s’accompagnera d’une nouvelle approche des thèmes. Il pousse les artistes à devenir polyvalents, multitâches, ambivalents, un peu comme s’il leur donnait la parole, ou une nouvelle façon de parler, ou une manière d’amplifier leurs propos. Vollard prône la diversité, l’ouverture d’esprit, l’intelligence du geste, et, ce faisant, la grande réconciliation entre l’art et l’artisanat.

Et il n’a pas tort. On s’en apercevra devant la délicatesse japonisante de la Jeune femme assise de Georges Auriol ou l’énergie comme figée par l’instant de la pose de la Danseuse espagnole d’Alexandre Lunois.

Dans un premier temps, Vollard, devenu pour les besoins de la cause éditeur, fait paraître des albums individuels, celui de Maurice Denis, Amour, celui de Pierre Bonnard, Quelques aspects de la vie de Paris, celui de Ker-Xavier Roussel, Paysages, qu’il n’achèvera pas. Puis il se lance dans l’édition de livres d’artistes sur lesquels il fait travailler les plus grands, n’hésitant pas à choisir des techniques dépréciées — la lithographie — mais qu’il juge, lui, prometteuse, et à faire illustrer des textes difficiles et ambitieux ; Un coup de dès jamais n’abolira le hasard.

Il rêve plus loin, plus grand, plus fou, de ne plus illustrer les textes d’auteur mais de demander aux auteurs d’écrire sur les dessins et estampes réalisés par les peintres. Il ne se refuse aucune audace, et, malgré l’opposition farouche des spécialistes et des critiques, il propose à un tout jeune peintre né en Russie et récemment immigré, un certain Marc Chagall, d’illustrer les Fables de la Fontaine : un juif immigré qui peint le trésor littéraire national. Vollard y croit, parce qu’il est persuadé du talent du jeune homme.

A sa mort brutale, en 1939, l’homme qui vivait seul, sans femme ni enfant, et qui n’avait pas fait de testament, laisse une œuvre en cours, des projets par centaines, des livres à faire.

Henri Marie Petiet sera bien inspiré de racheter le fond Vollard et de permettre ainsi, entre autres, l’édition de la Suite Vollard dans laquelle Picasso s’est rarement montré aussi audacieux dans les thèmes érotiques. Vollard avait disparu mais son œuvre se poursuivait.

Evidemment : personne n’arrête une suite d’idées aussi novatrices, pas même la mort.

Édition limitée. Vollard, Petiet et l’estampe des maîtres, jusqu’au 29 août 2021 au Petit Palais — Musée des Beaux Arts de la Ville de Paris.

Si vous désirez aller plus loin :

Souvenirs d’un marchand de tableaux, d’Ambroise Vollard, aux éditions Nouveau Monde. 500 pages. 10,90€.
Ambroise Vollard : un marchand d’art et ses trésors, d’Isabelle Cahn, aux éditions Découvertes Gallimard. 128 pages. 16,20€.

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