« Pèlerinage à Djerba » : la Jérusalem de l’Afrique s’expose au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme…

Djerba est bien loin de n’être qu’une banale destination balnéaire, elle est également terre de légendes, celles de la communauté Juive qui fut longtemps la plus importante et qui demeure, de nos jours, la dernière enclavée dans un pays arabe.

On raconte entre autres qu’après la destruction du Temple de Salomon, en 586 avant J.C., un groupe de prêtres, les « Kohanim », étaient venus trouver refuge sur l’île, emmenant avec eux une porte et des pierres du sanctuaire qui furent incorporées à la première synagogue, la Ghriba. D’où les nombreux « Cohen » qui, de nos jours, peuplent encore le village d’Hara Shgira.

De ces légendes, on dirait vraiment que les soixante-cinq photographies de Jacques Pérez réunies au mahJ se font l’écho, et disent la quintessence.

Pourtant, au départ, rien ne prédestinait vraiment Jacques Pérez à ce rôle de sociologue visuel. Ce qu’il affectionnait, lui, c’était la couleur, l’architecture et les visages humains. Mais au moment de mener leur brillante étude Juifs de Djerba, regards sur une communauté millénaire, Lucette Valensi et Abraham Udowitch, historiens spécialistes de Djerba, firent appel à lui pour collaborer à leurs travaux.

Ils avaient deviné que Jacques Pérez saurait trouver l’angle idéal pour dire la ferveur colorée de cette communauté djerbienne.

Et de fait, on retrouve dans les photos de Jacques Pérez son intérêt pour la couleur. Tel ce bleu profond, quasiment Majorelle, dans lequel se noie véritablement le bijoutier anonyme qui travaille chez lui, loin du regard et des distractions, comme pour mieux se consacrer à son savoir. Ce bleu c’est celui, intense, du ciel, ou bien celui de la Méditerranée, la mer première, essentielle et immuable, ou encore la « tekhélèth foncée » du drapeau israélien.

On retrouve l’intérêt pour l’architecture : de nombreux clichés bénéficient d’une vigoureuse profondeur de champ, d’une ample perspective. On a fréquemment le sentiment d’une mise en scène quasiment cinématographique, comme autant de photogrammes d’un film disparu.

Et puis l’on retrouve l’intérêt pour les visages. Les personnages sont saisis dans leur quotidien, en pleine action, comme dans une sorte d’instantané de l’humeur de chacun. Les expressions sont joyeuses ou concentrées, comme s’ils jouaient. Et de fait, tous, d’une certaine manière, sont des comédiens, mais ils jouent leur propre rôle à la perfection.

La communauté juive compta jusqu’à 4.500 personnes à son apogée, d’où l’existence d’une vingtaine de synagogues et le surnom fréquemment attribué à Djerba de « Jérusalem de l’Afrique ».

Cette communauté était heureuse, on le voit sur les photos. Elle perpétuait ses traditions dans la bonne humeur et célébrait ses événements fondateurs par autant de fêtes. A Djerba, même si les mariages étaient arrangés, ils l’étaient joliment. Pour l’essentiel, on reprenait les rites traditionnels, mais Djerba possédait aussi ses particularités : le long kiddoush la veille de la Pâque ; la récitation de passages des Prophètes certains samedis de l’année ; l’annonce de l’imminence du shabbat au son du chofar… Et surtout, surtout, Djerba était un monde de culture : tout le monde lisait, de partout, dans toutes les positions, à tout moment de la journée, quel que soit son métier, son grade et son rang. On s’instruisait.

L’île posséda jusqu’à six imprimeries à certaines époques, qui publièrent plus de mille ouvrages. Rarement communauté juive aura pu être à ce point digne de la formule islamique « Ahl al-kitab », qui désigne les fidèles des religions révélées, ceux qui étudient, se perfectionnent, s’amendent en permanence.

Sur l’île de Djerba, la coexistence entre juifs et musulmans était des plus pacifique. C’est tout juste si le costume distinguait vaguement les uns des autres.

Juifs et musulmans portaient tous la chéchia, mais les juifs à l’arrière du crâne, les musulmans à l’avant. Les juifs portaient en outre le pantalon bouffant bordé d’une bande noire, symbole de deuil, pour commémorer la destruction du Temple. Puis la barbe était juive, alors que la moustache était musulmane. Bref, des détails.

Tous, juifs comme musulmans, s’ils respectaient leur religion, s’égaraient également dans certaines superstitions : les amulettes et les talismans que l’on suspend à la porte des femmes enceintes ; les petits garçons que l’on dissimule sous des prénoms et des vêtements de filles ; les prénoms prophylactiques parfois parfaitement ridicules, tels ceux de poissons… Il en est ainsi qui se prénommaient « rouget », « mérou » ou « sardine », au moins en deuxième prénom, pour les protéger du mauvais œil. Car la vie peut être amèrement drôle, parfois.

Le pèlerinage à Djerba, titre de cette belle exposition que nous propose le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, ne désigne pas seulement le célèbre pèlerinage traditionnel qui a lieu, chaque année sur l’île, mais également le pèlerinage intérieur que mena, sans doute, Jacques Pérez lorsqu’il recueillait ces traces de la vie quotidienne de Djerba. Et puis aussi le pèlerinage auquel nous sommes conviés, nous visiteurs de cette exposition, partant à la découverte d’un univers insoupçonné.

Pèlerinage à Djerba. Photographies de Jacques Pérez, 1980, jusqu’au 31 décembre au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme.

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