« Juifs et musulmans de la France coloniale à nos jours » : plus d’histoire, moins de clichés

Le grand hall du palais scintille des mille feux lancés par une énorme boule à facettes. Tout hérissée de lunes musulmanes et de Maguen David en verre, elle tourne sur elle-même, comme si l’on était sur le point de pénétrer dans une boite de nuit. Une boite de nuit qui aurait pour projet de chercher le jour.

La haine, cette haine actuelle entre juifs et musulmans, n’a rien de naturel. Elle n’est pas issue d’un hasard, elle a, elle aussi, son histoire. Et cette exposition a pour but de nous raconter les étapes successives de cette haine, un peu à la façon dont on expliquerait les phases d’un divorce dans un couple qui, au fil des années, passe de l’amour fou au déchirement ultime.

Il y a un « avant la haine » : « Saviez-vous que les juives et nous à l’époque étions semblables. Aux yeux des français nous étions toutes des indigènes. » (Ma Yasmina).

Cette histoire commence en 1830 par la colonisation de l’Algérie, se poursuit en 1881 et 1912 par les mises sous protectorat du Maroc et de la Tunisie, et se prolonge jusqu’à nos jours. Elle est ponctuée par une série de dates et de résolutions qui n’étaient pas forcément mal intentionnées, mais vont mener au pire. Ainsi le « décret Crémieux » de 1870.

Adolph Crémieux est lui-même d’ascendance juive, et il imagine d’offrir la citoyenneté française aux juifs d’Algérie afin de les placer sur un pied d’égalité avec leurs frères et sœurs de métropole qui avaient été, quelques décennies plus tôt, intégrés à la société française.

Le décret Crémieux est le type même de la « fausse bonne idée ».

En cherchant à intégrer les juifs, il a soulevé l’indignation des colons européens et celle, bien évidemment, des trois millions de musulmans. Il ne sera d’ailleurs pas appliqué au Maroc ni en Tunisie.

La première guerre mondiale est, elle aussi, un événement majeur : juifs comme musulmans se battent aux côtés des Français, avides d’intégration. On leur promet le meilleur à condition de s’enrôler : il est bien connu que la chair à canons n’a pas de religion.

La seconde guerre sera pire pour le statut des populations juives. Le gouvernement de Vichy décrète l’abolition du décret Crémieux avant même la mise en place des mesures anti-juives. Ce qui démontre bien – n’en déplaise à Éric Zemmour – que Pétain ne fit rien pour faciliter la vie des juifs français. Les musulmans ne furent pas mieux traités par le régime collaborationniste, ni bien entendu par l’occupant. Même si, toutes proportions gardées, il valait nettement mieux être musulman que juif.

On apprend ainsi que la Grande Mosquée de Paris produisit quelques faux certificats d’islamité pour sauver des juifs de la déportation.

Le célèbre philosophe et intellectuel Jacques Derrida définissait comme « l’un des tremblements de terre de [son] existence » le fait d’avoir perdu, à dix ans, la citoyenneté française sur décision du régime de Vichy.

Après la guerre, la situation ne s’améliore pas et, très vite, émergent les premières impulsions qui devaient mener à l’indépendance de l’Algérie. Après le massacre honteux de Sétif, sur l’existence et les proportions duquel l’Histoire officielle reste souvent discrète, les luttes vont se radicaliser. Mais même durant ce qu’on n’appelait pas encore la « guerre d’Algérie », un certain nombre de juifs algériens se battirent aux côtés de leurs frères musulmans : Murielle Saïd, sa fille Josette ou son neveu Pierre, Lucien Hanoun, souffrirent et moururent par solidarité envers leurs frères musulmans, et pour que l’Algérie obtienne son indépendance.

Dans son tableau Le bon Samaritain, Boris Taslitzky exprime son élan solidaire pour les souffrances des Algériens en représentant un martyre qui porte à la fois la chéchia et l’uniforme des déportés.

Ainsi peu à peu, au fil des événements – dont bien sûr la création de l’Etat d’Israël, la guerre des Six Jours, le conflit israélo-palestinien, les attentats terroristes… -, la haine devint radicale, absolue, violente, jusqu’à nous mener à la situation actuelle et l’impression d’une impasse absolue.

Une exposition exigeante et sérieuse qui nous raconte les origines du mal. A chacun d’en tirer les leçons.

Juifs et musulmans de la France coloniale à nos jours, jusqu’au 17 juillet 2022 au Musée de l’histoire de l’immigration – Palais de la Porte Dorée.

Si vous désirez aller plus loin :

Juifs et Musulmans de la France coloniale à nos jours, de Karima Dirèche, Mathias Dreyfuss et Benjamin Stora, aux éditions Seuil. 232 pages. 28,50€.
Les pieds-noirs : l’épopée d’un peuple, de Christophe Rouet, aux éditions De Borée. 317 pages. 8,90€.
Juifs et Musulmans en Algérie. VIIème-XXème siècle, de Lucette Valensi, aux éditions Tallandier. 288 pages. 9,50€.
Les français d’Algérie, de 1830 à aujourd’hui, de Jeannine Verdès-Leroux, aux éditions Fayard. 512 pages. 10,00€.
Juifs et Musulmans. Echanges et différences entre deux cultures, de Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora, aux éditions Albin Michel. 704 pages. 12,90€.
La guerre des mémoires. La France face à son passé colonial, de Benjamin Stora, aux éditions
Adolphe Crémieux. 1796-1880, d’André Combes, aux éditions Edimaf. 118 pages. 21,00€.
L’idée coloniale en France. 1871-1962, de Raoul Girardet, aux éditions Bartillat. 342 pages. 22,00€.
Culture coloniale en France. De la Révolution Française à nos jours, de Pascal Blanchard, aux éditions du CNRS. 766 pages. 35,00€.
La guerre d’Algérie en direct, ouvrage collectif aux éditions du Cerf. 502 pages. 39,00€.

Et pour la jeunesse :

La guerre d’Algérie : questions / réponses, de Jean-Michel Billioud et Emmanuel Cerisier, aux éditions Nathan. 31 pages. 7,80€.
La guerre d’Algérie. Chronologie et récits, de Jean-Michel Billioud et Jerome Meyer-Bisch, aux éditions Gallimard Jeunesse. 80 pages. 16,00€.
Histoire dessinée des Juifs d’Algérie, de Benjamin Stora et Nicolas le Scanff, aux éditions La Découverte. 144 pages. 22,00€.

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