10 avril 1516 : création à Venise du premier ghetto de l’Histoire

Il y a cinq siècles, le premier ghetto de l’histoire était créé à Venise, en Italie. Dérivé du vénitien gheto signifiant « fonderie », en raison du site sur lequel il est installé dans le quartier du Cannaregio, son nom pourrait également faire référence au gett, « divorce » ou « séparation » en hébreu.

Jusqu’au 30 juin 2017, le Musée d’Israël à Jérusalem, à l’instar de nombreuses autres institutions, avait commémoré ce triste anniversaire en proposant aux visiteurs de découvrir, malgré le confinement et les interdictions dont ils ont fait preuve, toute la richesse spirituelle, artistique et culturelle des Juifs du ghetto de Venise.

Imposé aux Juifs de la République de Venise en 1516, agrandi en 1541 puis en 1633 — la ville comptait alors près de 5.000 Juifs —, le ghetto, une île du quartier du Cannaregio entourée de canaux, était interdit à toute autre population. Fermé par des portes gardées, les résidents avaient l’interdiction d’en sortir de la tombée de la nuit jusqu’au matin, le premier coup de la cloche de la basilique Saint-Marc marquant la levée de cette interdiction. Certains d’entre eux se rendaient alors au marché du Rialto pour leurs activités commerciales — vente d’étoffes, recyclage de vêtements usés, prêt sur gage… —, tandis que d’autres animaient la vie quotidienne du Canareggio.

À l’extérieur du ghetto, les Juifs devaient porter une rouelle jaune sur la poitrine, puis par la suite un béret ou un chapeau jaune, couleur infamante de la folie et du crime.

Ceux qui refusaient devaient s’acquitter d’une amende de 50 ducas, puis étaient condamné à un mois de prison. Seuls les médecins, très appréciés par les notables chrétiens, pouvaient sortir sans porter cette marque distinctive, y compris la nuit — la médecine étant l’une des rares professions libérales ouvertes aux Juifs.

Séfarades chassés d’Espagne et du Portugal, ashkénazes venus d’Allemagne et d’Europe centrale, levantins réfugiés de Constantinople…, bientôt, tous les Juifs de la diaspora se retrouvèrent dans le ghetto, transformant le Canareggio en un melting-pot de langues, dialectes, coutumes et traditions, stimulant ainsi la réflexion et l’enrichissement culturel.

Parmi ses plus célèbres habitants, on peut entre autres citer Rabbi Salomon Askedaz, un médecin qui a joué un rôle de médiateur non négligeable avec les turcs, Isaac Abrabanel, diplomate et trésorier du roi du Portugal avant l’expulsion des Juifs du pays, Joseph Caro, qui a fait imprimer le Shoulhan Arouch à Venise en 1565, Sarah Copia Sullam, poétesse réputée, ou encore Jacob Mantino, futur médecin-chef du pape Paul III…

Insalubre et surpeuplé, ne pouvant sortir des limites imposées, le manque de place devint vite un problème. Les Juifs durent construire de nouveaux logements… en hauteur. Pouvant atteindre jusqu’à huit étages, les immeubles du Canareggio devinrent alors les plus hauts de la Sérénissime, visibles de toute la ville.

Apatrides mais audacieux, ayant gardé des liens étroits avec les marchands et les communautés juives disséminées en Europe et en Méditerranée, certains d’entre eux ne vont pas tarder à ouvrir de nouvelles routes commerciales vers Alexandrie, Constantinople, Anvers ou Amsterdam, et porter les échanges commerciaux à des niveaux rarement atteints. Proscrits, relégués, réfugiés, les Juifs de Venise, malgré tout très attachés à leur ville, vont contribuer à faire sa richesse. Une contribution ô combien précieuse pour la Cité des Doges, rendue possible uniquement parce que, même dans leur précarité et leurs limites, les Juifs de Venise, contrairement à d’autres, ont connu une relative tranquillité.

Mais avec le départ des familles les plus aisées et la chute de la République suite à son invasion par Napoléon en 1797, le déclin du Canareggio et de Venise toute entière s’amorce.

Si l’empereur français fait tomber les portes du ghetto et abolit la ségrégation faite aux Juifs vénitiens, les rendant égaux face aux autres citoyens, cette période de liberté regagnée ne sera que de courte durée. Deux ans plus tard, la France et l’Autriche signent le traité de Campo Formio, assignant Venise à l’Autriche. Les Juifs perdent de nouveau le droit à l’égalité.

Venetian splendor, l’exposition temporaire du musée d’Israël, est installée dans le parcours permanent, sur la bien nommée « route des synagogues », un vaste espace traitant des traditions du judaïsme, au cœur duquel sont reconstituées quatre synagogues originales provenant de trois continents, dont celle de Vittorio Venetto, une petite ville près de Venise.

Inaugurée en décembre 1700 et active durant deux siècles, cette synagogue était essentiellement utilisée par la petite communauté ashkénaze de la ville, installée là depuis le Moyen Âge. Intégralement transférée au musée d’Israël en 1965, elle y a été reconstruite dans son état original, jusqu’à la galerie des femmes dissimulé derrière des vantaux de bois sculptés. En revanche, les contraintes du bâtiment ont eu raison de son orientation, l’Arche originellement orientée vers l’est l’est maintenant vers le nord.

Si les Juifs de tous les horizons ont amené avec eux — et ont conservé malgré tout — leurs traditions ancestrales, les objets exposés dans Venetian splendor revêtent un caractère particulier puisqu’elles étaient utilisées par l’ensemble des communautés : bassin en marbre de la synagogue de Vittorio Veneto, yad, rimonim ou couronnes de Torah en argent des 18ème et 19ème siècles, rideau d’Armoire Sainte en soie brodée d’argent de 1626, photographies de synagogues anciennes — Rovigo, détruite en 1930 et dont subsiste un panneau de bois de la galerie des femmes —, ou plus récentes, levantine, italienne ou encore de la Grande Synagogue espagnole de Venise…

Enfin, la réalisatrice italienne Emanuela Giordano signe Il ghetto di venezia, 500 anni di vita, un documentaire sous forme de voyage initiatique à travers les yeux de Lorenzo, un jeune étudiant américain d’origine vénitienne, parti à la découverte de la Sérénissime sur les pas de sa famille et de son histoire.

Il reste aujourd’hui environ 500 Juifs à Venise, dont une trentaine résidant toujours dans ce qui fut le premier ghetto du monde.

Venetian Splendor, jusqu’au 30 juin 2017 au Musée d’Israël à Jérusalem.

Si vous désirez aller plus loin :

Histoire de Venise, de Christian Bec, aux éditions Que sais-je ? 128 pages. 9,00€.
Ghetto de Venise : 500 ans, de Donatella Calabi, aux éditions Liana Levi. 174 pages. 20,00€.
Histoire du ghetto de Venise, de Riccardo Calimani, aux éditions Tallandier. 358 pages. 10,00€.
Les yeux de Venise, d’Alessandro Barbero, aux éditions Tallandier. 576 pages. 22,50€.
Venise. Petit atlas hédoniste, de Lucie Tournebize et Guillaume Dutreix, aux éditions du Chêne. 256 pages. 29,00€.
Le guide culturel des juifs d’Europe, ouvrage collectif, aux éditions du Seuil. 616 pages. 29,40€.

Et pour la jeunesse :

Venise, d’Enrico Sallustio et Jacques Martin, aux éditions Casterman. 56 pages. 12,90€.
Un p’tit tour à Venise, de Stéphane Husar et Camille Garoche, aux éditions ABC Melody. 40 pages. 14,00€.
Venise, la coté des Doges, de Viviane Bettaïeb et Bruno Fourure, aux éditions Giboulées. 12 pages. 26,00€.

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