C’est dans le cadre fantasmatique et fascinant du musée du quai Branly, ce lieu où l’on déambule comme dans un rêve au gré de travées, d’ombres et d’ors, que se tient l’exposition Helena Rubinstein. La collection de Madame.
Elle aima la beauté toute sa vie durant, au point de ne pouvoir accepter de vieillir et de modifier sa date de naissance, entre deux et huit ans de moins selon les occasions et les humeurs. On ne sait plus trop bien, de fait, quelle est la vraie date.
Helena Rubinstein était née du rien et de la rigidité. Issue d’une famille juive polonaise proche de la misère mais ancrée dans ses traditions, elle refuse tout à la fois de se résigner et de céder aux mariages arrangés, qui sont pratique courante dans son milieu. Elle part, sans rien en poche, si ce n’est son courage et une fiole d’un baume créé par son père, dont elle se dit qu’à défaut de lui fournir la jeunesse éternelle, il lui fournira au moins la survie provisoire.
Mais Helena est vive, maline, forte. Elle a de la volonté, et même de l’obstination, un vrai sens de l’esthétique et un don des affaires : elle fait fortune et fonde un empire industriel.
Sa fortune, elle va la consacrer à se constituer une des plus belles collections d’œuvres d’art qui soit. Et en plus, Helena Rubinstein sait s’entourer de gens de goût et de savoir : Jacob Epstein, Pablo Picasso, Man Ray, et bien d’autres…
Très vite, son attention est dirigée vers les arts premiers, goût hautement improbable à l’époque, sauf chez quelques pionniers. Et ce goût ne va pas caractériser seulement sa collection, mais toute son évolution, jusqu’à infléchir ses perceptions professionnelles : déco, coiffure, vêtements, tissus, esthétique…
Il faut reconnaître que la dame, si elle n’a pas de méthode dans ses acquisitions, a un œil affûté : ce qu’elle choisit est unilatéralement marqué par la netteté du trait, l’accentuation des signes, l’intensité des symboles. L’art africain que collectionne Helena Rubinstein défie les notions de classicisme et de modernité au profit d’une vraie fulgurance de la beauté. Et ceci tout aussi bien dans les masques ou objets de fête ou funéraires que dans les objets du quotidien. On trouve des cimiers mais également des peignes et des roues de poulie, le tout travaillé finement dans des matières pures.
Helena achète au fur et à mesure, ne se fiant qu’à son instinct, mais sans chercher aucunement à constituer une collection complète ou systématique. Elle récupère essentiellement tout ce qui arrive en France et dans les pays européens, des colonies ou ex-colonies, tout particulièrement du Congo.
Et ce n’est pas l’un des moindres (ni des moins beaux) paradoxes de cette magnifique exposition : celle qui fut elle-même persécutée, obligée de fuir à deux reprises dans sa vie l’avancée de la menace allemande, celle qui trouva, après la libération, ses biens dévastés par les nazis, fut justement celle qui sauva de l’oubli et de la destruction les œuvres d’art de l’Afrique colonisée, les productions des rejetés de l’occident…
Helena Rubinstein. La collection de Madame, jusqu’au 27 septembre 2020 au musée du quai Branly.
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