« Helena Rubinstein. L’aventure de la beauté », au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme

« Mon désir permanent d’être à l’avant-garde de la recherche scientifique a convaincu le corps médical que la beauté n’est pas une chose futile. »

Helena Rubinstein.

Après le Jewish Museum de New York et le Jüdisches Museum de Vienne, c’est à présent au tour du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme de Paris de consacrer, pour la première fois en France, une exposition à la femme d’affaires et collectionneuse d’art Helena Rubinstein.

Invitation au voyage à travers les villes qui ont marqué son existence, l’exposition Helena Rubinstein. L’aventure de la beauté revient, avec plus de 150 photographies, vêtements, documents et œuvres d’art de sa collection personnelle, sur le parcours incroyable de cette ambitieuse et indomptable femme d’affaire, qui révolutionna le monde de la beauté comme personne auparavant.

Née dans le quartier juif de Kazimierz, à Cracovie, et aînée d’une fratrie de huit filles, Chaja Rubinstein quitte la Pologne pour Vienne où elle rejoint une de ses tantes, et échappe ainsi à un mariage arrangé avec un riche et vieux veuf. En 1896, elle quitte l’Europe pour une destination plus lointaine encore, et qui va sans doute lui donner le goût des voyages : l’Australie.

Pendant trois ans, elle s’installe dans la ville de Corelaine, entre Melbourne et Adelaïde, où elle aide un de ses oncles dans son épicerie tout en perfectionnant son anglais. La peau tannée des femmes australiennes lui donne l’idée d’une pommade afin de les protéger des rayons agressifs du soleil. Héritées du docteur Lykusky, un pharmacien hongrois ami de la famille, et composées d’un mélange d’herbes, d’écorces et d’amandes, Helena Rubinstein fabrique ses premières crèmes de soin dans sa cuisine, crèmes qu’elle baptise « Valaze ». L’engouement sera unanime et le succès immédiat.

En 1902, elle peut ouvrir sa première boutique à Melbourne, la « Maison de beauté Valaze », premier institut de beauté au monde, dont elle cédera en 1905 la gestion à l’une de ses sœurs. Son désir d’apprendre et de développer sa marque la mène partout dans le monde à la rencontre de médecins, de scientifiques – dont Marie Curie -, mais surtout d’artistes en vogue, dont elle va utiliser l’image afin d’assurer la communication de ses produits. Un pari risqué à une époque où maquillage rime avec prostitution.

En 1912, Helena Rubinstein s’installe à Paris, une ville qui aura toujours pour elle une place particulière et où elle fréquente l’intelligentsia de la capitale, de Marc Chagall à Poiret, qui s’occupera de la décoration de son premier salon en France, en passant par Colette, Pablo Picasso, Jean Cocteau, qui la surnomme « l’impératrice de la cosmétique », ou encore l’inévitable « Reine de Paris », Misia Sert. Sur les conseils de cette dernière, qui lui confie que lorsque l’on est une femme du monde à Paris, il convient de se faire portraiturer par les plus grands noms de l’époque, Helena Rubinstein va poser pour une vingtaine d’artistes, Pablo Picasso ne se contentant quant à lui que d’une trentaine de croquis…

A José Maria Sert, le mari de Misia, Helena Rubinstein rachètera l’hôtel d’Hesselin, au 24 quai de Béthune, qu’elle fait abattre pour construire un nouvel immeuble dessiné par Louis Süe, immeuble qui comptera parmi ses plus illustres locataires le président Georges Pompidou, Louis de Funès, ou encore l’écrivain Claude Mauriac.

Lorsqu’éclate la Première guerre mondiale, Helena Rubinstein quitte l’Europe pour le Nouveau Monde, et se réfugie à New York où elle ouvre son premier institut sur le territoire américain, déjà occupé par deux géantes : Estée Lauder et Elizabeth Arden. Le salon de beauté Rubinstein situé sur la Cinquième Avenue sera l’un des plus beaux. Les clientes pouvaient y admirer des tapis de Fernand Léger, des toiles de Chirico, des dessins de Modigliani, des marbres d’Elie Nedelman ou encore des lampes de Jean-Michel Frank, deux artistes qu’elle a découvert.

Précurseure dans les domaines de la beauté et de la cosmétique, Helena Rubinstein l’était aussi dans l’art. Elle sera l’une des premières femmes collectionneuses d’arts premiers – elle refusera d’ailleurs de vendre sa collection au MeT -, et à exposer des œuvres dans ses salons de beauté. Ce qui ne manquera pas de surprendre un certain Pierre Bergé qui, alors âgé de 19 ans, va découvrir un Brancusi dans la vitrine de l’un des instituts. Quelques années plus tard, quand il ouvrira avec son compagnon Yves Saint Laurent sa première boutique, ils placeront à leur tour deux vases de Dunand en vitrine.

Passionnée de mode, cliente de Dior, Schiaparelli, Chanel ou Balenciaga, Helena Rubinstein sera, à l’âge de 90 ans, l’une des fidèles clientes d’Yves Saint Laurent lorsque celui-ci présente son premier défilé de haute couture.

A la fin des années 30, après s’être séparé puis finalement avoir divorcé de son premier époux Edward Titus, elle épouse en secondes noces Artchil Gourielli-Tchkonia, un prince géorgien de 23 ans son cadet. Si à l’inverse de Gabrielle Chanel, Helena Rubinstein n’aura jamais d’amants ou de maris fortunés, elle demandera toutefois à Artchil Gourielli-Tchkonia de lui présenter ses armoiries avant d’accepter de l’épouser.

Avec le second conflit mondial qui plonge de nouveau l’Europe dans le chaos, Helena Rubinstein va perdre une grande partie de sa famille polonaise, ainsi que la quasi-totalité de ses avoirs en Europe. Lors de l’entrée en guerre des Etats-Unis, elle devient le fournisseur officiel de l’armée américaine en équipant les soldats en maquillage camouflant, ainsi qu’en crème solaire.

De Cracovie à New York, en passant par Vienne, Melbourne, Londres, Paris, sans oublier Tel Aviv – elle aimait beaucoup Israël, ce pays de pionniers qui lui rappelait l’Australie où elle avait vécu -, Helena Rubinstein. L’aventure de la beauté revient donc sur un destin hors du commun avec une série d’œuvres rares et superbes, photographies signées Erwin Blumenfeld ou Cecil Beaton, tableaux ou dessins de Pablo Picasso, Maurice Utrillo, dont les deux toiles présentées ont été offertes au musée d’art de Tel Aviv en décembre 1958, Fernand Léger, Georges Braque, Marc Chagall, au côté de qui Helena Rubinstein assiste à l’inauguration des vitraux de la synagogue Hadassah de Jérusalem, sculptures de Lipska ou Chana Orloff, masque du Burkina-Faso, figure Senofou de Côte d’ivoire, dessins pour des études de vitrines ou de flacons de parfum, clichés aux côtés de David ben Gourion ou de Golda Meir, pour qui elle avait une très grande admiration, mais qui, selon ses propres dires, avait “la peau sèche”…

Helena Rubinstein s’éteint le 1er avril 1965 à New York. La marque « Helena Rubinstein » sera rachetée en 1988 par L’Oréal, rachat qui provoquera une menace de boycottage de L’Oréal par la Ligue Arabe, qui organisait le boycott des sociétés ou des personnes traitant avec l’État d’Israël.

Une très belle et très riche exposition à ne pas manquer, qu’accompagne un magnifique catalogue, disponible en français ou en anglais, édité par Flammarion.

Helena Rubinstein. L’aventure de la beauté, jusqu’au 25 août au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme.

Si vous désirez aller plus loin :

Helena Rubinstein. L’aventure de la beauté, le catalogue de l’exposition, aux éditions Flammarion. 255 pages. 35,00€.
Helena Rubinstein. Pioneer of the beauty revolution, le catalogue de l’exposition (en anglais), aux éditions Flammarion. 256 pages. 35,00€.
La vie de Misia Sert, de Arthur Gold et Robert Fizdale, aux éditions Gallimard. 416 pages. 10,20€.
Helena Rubinstein. L’aventure de la beauté, le hors-série aux éditions Beaux Arts Magazine. 52 pages. 9,50€.
Helena Rubinstein, de Michèle Fitoussi, aux éditions Livre de Poche. 608 pages. 7,90€.
La Guerre de la beauté. Comment L’Oréal et Helena Rubinstein ont conquis le monde, de Ruth Brandon, aux éditions Denoël. 304 pages. 20,30€.
Helena Rubinstein, de Madeleine Leveau-Fernandez, aux éditions Flammarion. 378 pages. 16,00€.
Femmes collectionneuses d’art et mécènes, de 1880 à nos jours, de Julie Verlaine, aux éditions Hazan. 288 pages. 32,00€.

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