« Joann Sfar, la vie dessinée », au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme

Joann Sfar n’avait pas même l’âge de raison lorsqu’il apprit à ses dépens qu’au fond, rien n’est vraiment sérieux puisque tout est tragique : cela faisait trois ans que son père lui mentait au sujet de sa mère, la prétendant en voyage alors qu’elle était morte.

Heureusement qu’il lui restait le dessin pour tâcher — et il continue de le faire — de dire des choses sérieuses sans se prendre au sérieux : dessiner, encore et toujours, pour exorciser les peurs, pour les traduire en émotions universelles, pour faire le tour de tout et, ce tout, le tourner en dérision.

Dessiner parce que le dessin c’est la vie, et que la vie, somme toute, ce n’est jamais qu’un dessin qui se poursuit, se répète, se corrige. Le dessin, c’est encore la meilleure façon de faire un pied de nez à la camarde.

Joann Sfar fut tenté tout jeune par les études de philosophie mais il opta pour le dessin puisque, comme il le fait dire à son célébrissime Chat du rabbin : « Je veux montrer que la bande dessinée est le médium idéal pour mettre en scène les débats philosophiques« . Rien n’est plus propre au travail de ce stakhanoviste du comics : sous une forme aisément accessible, il se livre à une réflexion approfondie sur les fondamentaux de la pensée. Rien n’est plus propre, également, à son état d’esprit que cette autre réflexion du chat : « Et si ce n’était pas moi le centre du monde ?« 

Car d’abord et surtout, Joann Sfar est d’une excessive modestie. Lorsqu’il évoque tous ceux qui l’ont influencé, guidé, marqué (Fred, Georges Beuville, Quentin Blake, Gus Bofa, Jack Kirby, Hugo Pratt, Will Eisner, et tant d’autres), il utilise les termes « humanité, humour et charme ». Or, ces termes définissent très exactement ce qu’il est lui, Joan Sfar, bourré d’humour à chaque mot, charmeur et profondément humain en permanence.

L’exposition propose de revisiter les productions de Joann Sfar de façon chronologique, au fur et à mesure, depuis l’enfance niçoise jusqu’à la parution annoncée des Idolâtres, le second tome de son autobiographie dessinée.

L’ensemble s’avère une production abondante en provenance des archives personnelles de l’auteur : s’il a vendu de nombreux albums, en revanche les planches originales étaient restées entassées dans le sous-sol de sa maison. Et trois caractéristiques majeures apparaissent : d’abord la volonté constante d’un équilibre entre le rappel de ses origines juives et un certain détachement goguenard. D’album en album, Sfar revendique sa judaïté sans pour autant en faire une priorité fondamentale.

Son chat, en permanence, se gausse des petits et grands défauts de la communauté ; ensuite, la préoccupation d’être facilement accessible et direct : de son propre aveu, Sfar a « désappris à dessiner », il en est venu à « mal dessiner » parce que, dans son esprit, rien n’est plus éloigné de l’authenticité que les prétentions artistiques. Sfar considère que les auteurs de BD qui se veulent peintres sont perdus pour les deux disciplines.

« Tout ce que j’écris, tout ce que je dessine relève de l’enfance et relève de ce courage d’enfance qui consiste à faire d’abord et réfléchir après. »

Sfar ou l’Obélix de la bande dessinée !

Et enfin, Joann Sfar ne veut négliger aucun aspect de l’existence et de la pensée : il écume tout, avec le même ton iconoclaste et le même humour ravageur, la musique, le sexe, le cynisme et la mort.

Brigitte Findakly qui, depuis bon nombre d’années, met en couleur les planches de Joann Sfar, se désespère parfois parce qu’il ne ferme jamais son trait et que, par conséquent, on a du mal à savoir précisément où il veut en venir, ce qu’il a voulu montrer, ce qu’il a voulu dire. Quand on lui pose la question, Joann Sfar lui-même n’est pas certain de la réponse. Cet homme ne ferme jamais son trait, mais c’est qu’il ne ferme jamais rien, ni la parenthèse ni les portes, et qu’il est justement, perpétuellement, ouvert à tout et à tout le monde.

Joann Sfar. La vie dessinée, jusqu’au 12 mai au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme.

Si vous désirez aller plus loin :

La vie dessinée, de Joann Sfar, aux éditions Dargaud. 224 pages. 35,00€.
Le dernier juif d’Europe, de Joann Sfar, aux éditions Livre de Poche. 336 pages. 7,90€.
Le chat du rabbin. Tome 1 : la bar-mitsva, de Joann Sfar, aux éditions Dargaud. 48 pages. 13,95€.
Chagall en Russie, de Joann Sfar, aux éditions Gallimard. 64 pages. 1500€.
La synagogue, de Joann Sfar, aux éditions Dargaud. 208 pages. 22,50€.

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