Voilà pourquoi on va au théâtre ! Voyageur et aventurier préférant la compagnie des peuples aux mondanités, Joseph Kessel, Résistant, écrivain et grand reporter, est le témoin d’un siècle.
Et monter sur les planches un spectacle biographique autour d’un tel monument se révèle un défi audacieux. Une heure dix peut-elle être suffisante pour retracer l’existence d’un homme qui traversa huit décennies parmi les plus tourmentées de l’Histoire ?
C’est pourtant le pari qu’ont décidé de relever ensemble le metteur en scène Matthieu Rannou et le comédien Franck Desmedt, Molière du Second rôle en 2018 dans Adieu Monsieur Haffmann, et qui campait récemment dans La promesse de l’aube une autre personnalité emblématique : Romain Gary.
Deux années de travail ont été nécessaires aux deux hommes afin de mener à bien ce projet ambitieux, et le succès est au rendez-vous puisque Kessel, la liberté à tout prix, qui affichait — fait rarissime — quasiment complet tous les soirs au théâtre du Lucernaire, s’installe à partir du 12 janvier 2024 sur les planches du théâtre Rive Gauche pour une nouvelle série de représentations.
Kessel, la liberté à tout prix met en lumière une existence excessive sans faire l’impasse sur ses parts les plus sombres, ce dont on ne peut que se réjouir.
« Un russe ne boit qu’en deux occasions : quand il mange, et quand il ne mange pas. »
Né en 1898 en Argentine, où ses parents s’étaient installés pour fuir les pogroms de Russie, Joseph Kessel aspirait à une carrière d’acteur. Mais le destin en décidera autrement… A seize ans seulement, il s’engage et porte les couleurs de la France lors de la Première Guerre mondiale en tant qu’observateur aérien. Passant subitement de l’enfance à l’âge adulte, ses missions sont à la fois prestigieuses et dangereuses ; paradoxalement, elles vont faire naître en lui une passion pour le voyage qui ne le quittera plus ; à vingt et un an, il a déjà fait le tour du monde. Cette première expérience de la guerre, Joseph Kessel la couchera sur papier en 1923 dans un roman-témoignage, L’équipage.
Viendront ensuite l’Irlande, où il signe son premier grand reportage en couvrant la guérilla anglo-irlandaise en 1920 ; puis l’Afrique, entre le Yémen, la Somalie et l’Éthiopie, sur les traces des trafiquants d’esclaves qui vont lui inspirer Fortune carrée en 1930. C’est là qu’il rencontre l’aventurier trafiquant d’armes et trafiquant de drogue Henry de Monfreid, que le journaliste surnomme amicalement le « vieux pirate ».
Le Juif Kessel assiste bien sûr à la montée du nazisme en Allemagne et de l’antisémitisme partout en Europe. Même si, contrairement à beaucoup d’autres ayant fui aux États-Unis, il choisit de rester en France, sa patrie d’adoption, il devra se contraindre à traverser la Manche pour rejoindre Londres et le général de Gaulle dans la Résistance. Mais pour le chef de la France Libre, Joseph Kessel est plus utile en tant que journaliste qu’en tant que combattant. Ce sera L’armée des ombres.
« Quand j’ai mis pied à terre, j’ai eu l’impression que je connaissais cette terre alors que je n’y avais jamais été.«
Joseph Kessel.
Passés les procès de Philippe Pétain et de Nuremberg, qu’il couvre bien évidemment durant onze mois — sans oublier le procès Eichmann à Jérusalem en 1961 —, il assiste avec joie et soulagement à la création de l’État d’Israël en mai 1948. S’il n’est pas sioniste, il se réjouit, comme tant d’autres, de voir la fondation d’un foyer national Juif après le drame de la Shoah. Kessel sera le premier reporter et visiteur à entrer dans le nouvel État comme en témoigne son visa, qui porte le numéro 1. Son avion est également « le premier à toucher le sol de la Palestine libre ».
Son dernier voyage, c’est en Afghanistan qu’il le réalisera, à la demande de Pierre Lazareff, directeur de France Soir. Là encore, cette expérience du bout du monde va donner naissance à un autre chef-d’œuvre en 1967 : Les cavaliers, qui lui demandèrent neuf années de travail.
Spectateur privilégié, Joseph Kessel a observé, traversé et relaté le 20ème siècle comme nul autre. Entré à l’Académie Française en novembre 1962, l’homme et son héritage littéraire sont désormais Immortels.
Kessel, la liberté à tout prix, actuellement au théâtre Rive Gauche.
Si vous désirez aller plus loin :
Fortune carrée, de Joseph Kessel, aux éditions Pocket. 320 pages. 6,00€.
L’armée des ombres, de Joseph Kessel, aux éditions Pocket. 253 pages. 6,00€.
Jugements derniers. Le procès Pétain, de Nuremberg et Eichmann, de Joseph Kessel, aux éditions Tallandier. 288 pages. 9,00€.
Terre d’amour et de feu. Israël, 1926-1961, de Joseph Kessel, aux éditions Tallandier. 384 pages. 10,00€.
Reportages en Israël, de Joseph Kessel, aux éditions Arthaud. 264 pages. 25,00€.
Reportages, romans, de Joseph Kessel, aux éditions Gallimard. 1.280 pages. 28,50€.
Et pour la jeunesse :
Joseph Kessel, l’indomptable, de Judith Cohen-Solal et Jonathan Hayoun, aux éditions Steinkis. 130 pages. 20,00€.
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