« L’invention de nos vies » : l’imposture de Karine Tuil sur les planches…

Et s’il suffisait de changer de prénom pour changer son destin ? Samir se fait surnommer Sam tout en laissant croire qu’il s’agit du diminutif de Samuel, et le tour est joué !

Le petit arabe de banlieue parisienne se mue en grand avocat, juif et new-yorkais. C’est à peine si un vague fond de culpabilité le fait bondir d’affaire en affaire, de révélations médiatiques en procès croustillants, de cœur de femme à cœur de femme… Mais jusqu’à quel point peut-on se mentir à soi-même et mentir aux autres ?

Au centre même de la scène trône un imposant arc argenté, comme un large cadre : celui des convenances sociales, de la respectabilité, de l’autorité, du respect, de l’argent, du pouvoir.

Quelque chose comme l’arc de triomphe de toutes les vanités. Tout ce que Sam Tahar a réussi jusqu’à présent à ériger. Cet arc, c’est le symbole de sa réussite : beau, jeune, brillant, époux d’une femme respectable dont le père est l’une des grandes fortunes américaines, deux enfants, des biens, des admirateurs, des jaloux, l’apogée du « rêve américain ».

Et c’est ce cadre, précisément, que Sam Tahar va voir s’effondrer sur lui lorsque le hasard — ou autre divinité — va replacer sur sa route une ex-amoureuse éconduite, un ex-meilleur ami malmené, un demi-frère renié.

Lui qui s’est inventé un passé va voir ressurgir intégralement la vérité, lui qui se masquait brillamment va devoir affronter la réalité.

Samuel Tahar va redevenir Samir Tahar. Il va ainsi passer de la gloire à la déchéance, des paillettes au cachot, de la lumière à l’obscurité. Et au long de ce trajet féroce, il va croiser ce qui constitue le fond souterrain de nos sociétés occidentales : l’exclusion sociale, l’antisémitisme ordinaire, le racisme au quotidien, le déterminisme social…

Le propos est fort et ambitieux, signé de la très grande romancière qu’est Karine Tuil, et il est défendu par sept comédiens particulièrement brillants, dont l’inégalable Valentin de Carbonnières.

Quant à la mise en scène de Johanna Boyé, elle est d’une vivacité quasiment cinématographique : une double rangée de rideaux à franges, éclairée par l’arrière, suffit à créer un sentiment de fluidité et de vitesse. Et tout l’univers s’engouffre ainsi dans un espace infiniment ouvert, avec des jeux méticuleux et à chaque fois parfaitement lisibles, de temps, d’espace, d’ellipses et de durée.

Du très grand art, et un excellent moment de théâtre.

L’invention de nos vies, actuellement au théâtre Rive Gauche.

Si vous désirez aller plus loin :

L’invention de nos vies, de Karine Tuil, aux éditions Livre de Poche. 504 pages. 8,40€.

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