« La spoliation des Juifs, une politique d’État. 1940-1944 », au Mémorial de la Shoah.

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Jusqu’au 29 septembre 2013, le Mémorial de la Shoah présente une exposition intitulée « La spoliation des Juifs, une politique d’état, 1940-1944 » mettant en lumière, grâce à quantité de documents d’archives, de photos ou d’extraits vidéo, l’aspect administratif – et légal, du pillage exercé par l’Allemagne nazie sur les biens Juifs dans l’Europe occupée.

Avec son accession au pouvoir en janvier 1933, Hitler peut enfin mettre en application sa politique d’exclusion des Juifs en dotant l’Allemagne d’un ministère tout entier dévolu à cette tâche.

Déjà persécutés, la légalisation de cette méthode va plonger les Juifs d’Allemagne et d’Europe dans un cauchemar qui n’aura pour issue que la fuite dans le meilleur des cas, la clandestinité ou la déportation pour des millions d’autres.

Considérant que les mesures antisémites et les persécutions largement « exagérées » à l’égard des Juifs ternissent au niveau international l’image de l’Allemagne, un boycott des entreprises juives est instauré en guise de représailles dans tout le pays dès le mois d’avril 1933. S’il a pour but premier de forcer les Juifs à fuir le pays en éliminant leur influence dans l’économie nationale, ce boycott va dans le même temps les marginaliser et les ghettoïser. L’ « aryanisation » est lancée.

Premières touchées, les petites et moyennes entreprises sont obligées de brader leurs biens, tandis que les plus grosses sociétés, alors encore nécessaires et bénéfiques à l’économie allemande, sont temporairement épargnées. Temporairement seulement. Sous peine de sanctions, il devient alors interdit – et donc dangereux, d’acheter dans les commerces tenus par des Juifs.

Mais qu’est-ce qu’un « commerce Juif » ? La notion de « bien Juif » n’est alors pas clairement définie, et ne fait l’objet d’aucune définition précise. Aussi, pour remédier à cette lacune, en janvier 1938, Hermann Goering signe un décret fixant les critères de ce qu’est une « entreprise juive », décret qui mènera en juin de la même année à l’obligation pour les commerçants d’apposer à leurs vitrines des panneaux mentionnant leur appartenance religieuse ou communautaire.  L’apogée de cette mesure et des actes antisémites atteindra son apogée en novembre 1938, avec la fameuse Nuit de Cristal au cours de laquelle des dizaines de synagogues seront pillées et incendiées, et plus de 7.500 commerces et entreprises saccagés. Le 1er janvier 1939, ordre est donné à tous les commerces Juifs de baisser définitivement leurs rideaux.

Etendues à l’ensemble de l’Europe au gré des invasions du régime nazi ou de ses alliances, les mesures de spoliations seront appliquées en Autriche – plus violente et plus antisémite encore que l’Allemagne, et donc plus prompte à instaurer cette politique de pillage, mais aussi en Roumanie, en Slovaquie, en Bulgarie, en Croatie, pays rejoint en 1939 par les Pays-Bas, le Belgique, la Norvège ou encore la Serbie.

La France ne fit bien évidemment pas exception à cette politique d’aryanisation, avec pour point d’orgue l’exposition « le Juif et la France », originellement présentée en Allemagne avant d’être traduite et adaptée pour le « public » français. On regrettera l’absence de l’affiche aujourd’hui bien connue dans le parcours de l’exposition.

Si la zone occupée est placée sous le joug nazi, la zone libre et le régime de Vichy quant à eux collaboreront en faisant leur cette politique raciale. Dès 1940, après avoir fait fleurir sur les vitrines des restaurants et des cafés ou sur les grilles des jardins publics des panneaux interdisant leur accès aux Juifs, Vichy établit à son tour une définition du « Juif », et instaure leur exclusion de nombreux corps de métiers. Une des pièces essentielles de cette exposition est d’ailleurs la récente acquisition par le Mémorial de la Shoah de la 4ème des 5 moutures du texte de loi du 22 juillet 1941, instaurant le rejet des Juifs de divers corps de métiers, ne les cantonnant qu’aux professions subalternes sans responsabilité, et surtout sans droit à la propriété, et préconisant leur enfermement dans des camps.

Dans le but d’accompagner ces nouvelles lois d’exclusion et de veiller à leur stricte mise en application, le Commissariat Général à la Question Juive est créé fin mars 1941, et deux mois plus tard, un recensement des Juifs est organisé, ainsi qu’un recensement de leurs biens. Dès septembre 1941, les premières mises sous administration provisoire commencent. Dépossédés de tout, vulnérables, bientôt contraints à la clandestinité, les Juifs deviennent des proies faciles, facilitant par-là même la Solution Finale.

En plus de mettre l’accent sur cette politique légale de pillage, l’exposition revient très largement sur ceux qui occupèrent un rôle central dans ce système de spoliation : les administrateurs provisoires. Tous volontaires, s’agissant bien souvent de personnes sans diplômes ni compétences, ils seront jusqu’à 20.000 à occuper ce poste. Si leur tâche principale est d’inventorier les biens et de préconiser sous quelle forme le dossier doit être clos – vente ou liquidation, ils ne sont en revanche pas en charge de la décision finale, qui revient au Commissariat Général à la Question Juive. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le produit de toutes ces transactions ne revient pas à l’Allemagne nazie. 90% des revenus engrangés sont déposés sur un compte bloquée, tandis que les 10% restants sont affectés aux frais de fonctionnement du CGQJ – administrations, salaires, etc.

Si durant les premières années de la guerre des milliers de ventes ont été conclues, à partir de 1944 et les premières défaites de l’Allemagne, les acheteurs se risquant à acquérir une entreprise spoliée se firent de plus en plus rares.

Historien et chargé de mission à la ville de Grenoble, et commissaire de l’exposition, Tal Bruttmann a choisi de mettre en lumière dans la troisième partie de l’exposition huit exemples concrets d’entreprises spoliées dans la région de l’Isère – l’établissement Alfred Dreyfus, fabricant et vendeur de filets en gros ou Jacques Seelenfreund, artisan fourreur entre autres. Des photos d’archives, ainsi qu’un bref historique de ces entreprises apposés sur des clichés actuels, font littéralement remonter le temps au visiteur et humanisent ce qui ne fut à l’époque rien de plus qu’une mesure administrative.

Créé à Grenoble par Isaac Schneerson en avril 1943, le Centre de Documentation Juive Contemporaine, fonds d’archives clandestines, combiné aux archives conservées par la Caisse des Dépôts, permettront à des milliers de rescapés de la Shoah d’être rétablis dans leurs droits une fois la guerre terminée. Mais avec plus de six millions de Juifs assassinés, plus de 2,5 milliards de francs ne seront jamais réclamés par leurs propriétaires.

Une exposition intéressante, bien que très spécialisée et peut-être difficile d’approche pour qui désire la faire seul. La visite gratuite avec un guide-conférencier est recommandée.

La spoliation des Juifs. Une politique d’état, 1940-1944, du 30 janvier au 29 septembre 2013. Horaires et renseignements sur le site du Mémorial de la Shoah.

1 commentaire sur « La spoliation des Juifs, une politique d’État. 1940-1944 », au Mémorial de la Shoah.

  1. Une expo que je conseille. Peu didactique, un peu effrayante d’approche, mais fort intéressante ! Au Mémorial jusqu’en septembre.

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