En 2012, le Mémorial de la Shoah de Paris avait présenté une exposition totalement inédite intitulée « Le sport européen à l’épreuve du nazisme ». Proposant un regard historique sur la manière dont les régimes totalitaires ont utilisé l’image du corps et du sport à des fins propagandistes, elle mettait également en parallèle le destin individuel de grands sportifs des années trente.
Le corps et la nation
L’obligation de pratiquer une discipline sportive, et la prise de conscience que peut véhiculer aux autres nations l’image d’hommes forts aux corps sculptés, apparaissent à des dates différentes dans les régimes européens de l’époque.
Tandis que l’Italie de Mussolini se concentre très tôt dans l’édification de complexes sportifs dont les inaugurations officielles se transforment en véritables mises en scène théâtrales – les victoires de ses athlètes étant transformées en records politiques servant la gloire de l’ « homme italien », l’Allemagne d’Hitler fait de l’éducation sportive une priorité en rendant sa pratique obligatoire pour chaque citoyen allemand. Dirigée par le vieux maréchal Pétain, la France vichyste semble quant à elle n’avoir pas d’autre choix que de faire de même. L’ardeur et la vivacité sportive ne pouvant reposer sur les épaules de son dirigeant, les jeunes générations doivent en supporter le poids.
Ainsi soumis au seul profit étatique, le corps véhicule dès lors une supériorité et une idéologie raciale qui perdurera jusqu’à la fin de la guerre.
Berlin 1936 : une tâche dans l’histoire du sport
Attribuée en 1931 à l’Allemagne dans le but de faire sortir le pays de l’isolement diplomatique dans lequel il se trouve depuis la fin de la Première Guerre Mondiale, la onzième Olympiade faillit bien ne pas avoir lieu tant le dirigeant de l’Allemagne nazie méprisait l’idée que le sport puisse être un facteur de fraternité et de solidarité entre les peuples. Sous l’influence de son ministre de la propagande, Joseph Goebbels, qui réalise très tôt l’opportunité que représente cet événement de pouvoir afficher au monde la supériorité de la race aryenne, les Jeux Olympiques sont finalement inaugurés dans la capitale allemande 1er août 1936.
Evénement le plus médiatique des années 30, la manifestation sera couverte par des millions de tracts, de brochures, de posters traduits en une vingtaine de langues visant à faire de l’Allemagne nazie une véritable puissance technologique et industrielle.
Les infrastructures seront elles aussi considérables : des équipements pouvant accueillir jusqu’à 250.000 spectateurs, de nouvelles stations de métro, un village olympique ultramoderne, une voie triomphale pour rendre plus historique encore l’arrivée du maître de cérémonie… Confiée à la réalisatrice Leni Riefensthal, la mise en images de la manifestation bénéficiera elle aussi d’un budget colossal. Présenté en avant-première le jour de l’anniversaire d’Hitler, Olympia est un véritable hymne à la beauté allemande. Production magnifique d’un point de vue artistique, elle se révèle totalement délétère d’un point de vue politique. Ce que niera toujours la réalisatrice.
S’entrainant clandestinement après avoir été exclus des fédérations sportives, mais tolérés dans les organisations sionistes Maccabi qui militent en faveur de l’émigration, les Juifs sont évincés des équipes nationales. Cette décision provoque une indignation générale allant même jusqu’à l’appel au boycott, soutenu aux Etats-Unis par John Heartfield qui, grâce à un photomontage, édite une affiche sur laquelle on peut voir Joseph Goebbels tirant les anneaux olympiques auxquels sont attachés cinq athlètes et ayant pour légende « Come and see Germany ».
L’Allemagne ne pouvant se permettre de perdre les Jeux décide finalement de rappeler Gretel Bergmann, championne internationale de saut en hauteur, que les lois anti-juives ont contrainte à s’exiler au Royaume-Uni. Par ce geste, le gouvernement nazi veut donner au monde une image pacifique de l’Allemagne au sein de laquelle la discrimination raciale n’existe pas. La tension internationale retombée, la championne sera finalement écartée pour « performances insuffisantes » alors qu’elle venait de battre le record d’Allemagne durant les entrainements préparatoires.
Grands gagnants de cette Olympiade, les sportifs allemands finiront les compétitions avec quatre-vingt-neuf médailles, passant devant les américains qui s’inclinent pour la première fois depuis 1896. Berlin 1936 sera une victoire pour l’image de l’Allemagne hitlérienne.
Des ghettos aux camps, une forme de résistance
Appréhendé comme une certaine forme de liberté et de dignité dans un univers où l’on en est totalement privé, le sport est, dans un premier temps, toléré dans l’espace concentrationnaire. Mais cette tolérance ne sera que de courte durée et se transformera bientôt en humiliations et en vexations, comme ce fut le cas entre autres pour une des figures emblématiques de la natation française, Alfred Nakache.
Champion de France à plusieurs reprises, il sera déporté avec sa famille à Auschwitz début 1944 mais ne cessera jamais de nager, tantôt dans des bassins de rétention d’eau, tantôt dans des citernes d’eau glacée pour distraire ses gardiens SS, expériences qui lui vaudront le surnom de « nageur d’Auschwitz ».
Londres 1948 : les « Jeux de l’austérité »
Après les annulations des Olympiades de 1940 et de 1944, Londres est désignée pour accueillir les premiers Jeux d’après-guerre. Cité-martyre choisie à l’unanimité et sans vote, ce rendez-vous doit symboliser le renouveau. Pour des raisons économiques évidentes, aucune infrastructure ne sera construite pour l’occasion. Les athlètes logeront dans des écoles ou des baraquements militaires.
Si d’un point de vue diplomatique, ces Jeux sont présentés comme une contribution au relèvement du monde, d’un point de vue sportif, le bilan sera relativement négatif. Douze années se sont écoulées depuis Berlin, et de nombreux champions envoyés au front ou déportés sont morts. Mais dans la mémoire collective, Londres 1948 marque définitivement la renaissance d’un monde libre.
Destins singuliers, destins pluriels
La seconde partie de l’exposition propose quant à elle de revenir sur les itinéraires individuels de champions et de championnes dont la carrière fut secouée par le nazisme et le totalitarisme. Dans des disciplines aussi variées que la natation, l’escrime, la boxe, la lutte, le football, le waterpolo, l’athlétisme ou encore le tennis, le visiteur pourra retrouver d’importants documents sur Daniel Prenn, Victor Perez, Alfred Nakache ou Gretel Bergmann, mais aussi sur Ilona Elek, Ellen Preis et Helene Mayer qui se partagent toutes les trois le podium olympique du fleuret féminin, bien qu’au regard des lois nazies, ces trois femmes étaient considérées comme « demi-juives ».
Sur une troublante photographie, Helene Mayer, médaillée d’argent, montre au monde son patriotisme envers l’Allemagne en faisant le salut nazi.
Le sport européen à l’épreuve du nazisme, du 9 novembre 2011 au 10 mars 2012, au Mémorial de la Shoah.
Cet article vous intéresse ? Laissez un commentaire.