Les vitraux de Chagall à la synagogue de l’hôpital Hadassah de Jérusalem

Certes, un hôpital n’est guère l’endroit le plus adapté où se rendre pour une visite culturelle.

Cependant, c’est bien à celui de la Hadassah, du nom d’une association féminine de bienfaisance américaine créée en 1912, qu’il faut aller pour admirer ce qui est sans aucun doute une des plus belles œuvres de Marc Chagall : les vitraux de la synagogue Abel.

A la fois peintre, graveur, sculpteur, poète, peintre sur émail et vitrail, Marc Chagall est l’un des artistes les plus célèbres du 20ème siècle, s’inspirant largement de la tradition juive et de la vie dans le shtetl. Rien de surprenant donc à ce qu’en 1958, dans le cadre des futures festivités du jubilé d’Hadassah, Myriam Freund, présidente d’Hadassah, et Joseph Neufeld, l’architecte du nouveau centre médical de Jérusalem, demandent à Marc Chagall de réaliser les vitraux de la synagogue de l’hôpital, sur le thème des douze tribus d’Israël.

S’il n’en est pas à son coup d’essai — Chagall a travaillé sur les vitraux de l’église du plateau d’Assy, puis pour la cathédrale de Metz —, la commande d’Hadassah est particulièrement spéciale, et soumise à de nombreuses contraintes : leur taille, 3,40 m de haut sur 2,50 m de large ; leur nombre, douze, représentant chacun une des douze tribus d’Israël ; leur disposition et leur emplacement au sein du complexe hospitalier ; l’interdiction de représentations humaines…

Perdu au 7ème siècle à la fois sous l’influence de l’islam, qui interdit l’iconographie, et en réaction à un christianisme par trop idolâtre, le recours au vitrail est aujourd’hui très rare pour la décoration d’une synagogue.

Considéré comme typique de l’art chrétien, on le retrouve plus généralement dans les églises et les cathédrales. Aussi, pour cette commande exceptionnelle, Chagall va-t-il innover, s’associant pour l’occasion avec Charles Marq, un maître-verrier qui a mis au point un processus permettant de peindre directement sur le verre, processus offrant à Chagall la possibilité d’employer jusqu’à trois couleurs sur un seul panneau. Une technique inédite qui permet à l’oeuvre de gagner en profondeur.

En disposant les vitraux trois par trois aux quatre points cardinaux, Chagall reprend en partie la répartition des tribus d’Israël dans le désert, et tente d’associer pour certains la couleur renvoyant au pendentif du Grand Prêtre, le ‘hoshen.

La représentation humaine est interdite ? Qu’à cela ne tienne ! Pour illustrer ces douze tribus, Chagall va puiser son inspiration dans la Bible, dans le chapitre 33 du Deutéronome, lorsque Moise bénit les douze tribus d’Israël, et dans le chapitre 49 de la Genèse, lorsque le patriarche Jacob, sur le point d’expirer, bénit ses douze fils.

« Juda est un jeune lion. Tu reviens du carnage, mon fils ! Il ploie les genoux, il se couche comme un lion. » (Genèse 49.8) ; « Issacar est un âne robuste, qui se couche dans les étables. » (Genèse 49.14) ; « Dan sera un serpent sur le chemin, une vipère sur le sentier, mordant les talons du cheval, pour que le cavalier tombe à la renverse. » (Genèse 49.17) ; « Nephthali est une biche en liberté. Il profère de belles paroles. » (Genèse 49.21) ; « Benjamin est un loup qui déchire ; Le matin, il dévore la proie, et le soir, il partage le butin. » (Genèse 49.27)…

Pour s’assurer que chaque vitrail recevrait la lumière qui lui convenait, Charles Marq viendra in situ, à Jérusalem, tester l’emplacement de chacun d’eux. Deux années de travail seront nécessaires aux deux hommes pour achever leur oeuvre.

Achevée en 1961, cette oeuvre monumentale fût temporairement présentée en France, au Musée des Arts décoratifs de Paris, de juin à septembre 1961 — André Malraux, alors ministre de la Culture, fût à tel point impressionné qu’il s’empressa de commander à Chagall la décoration du plafond de l’Opéra Garnier —, puis quelques mois au MoMA de New York, de novembre 1961 à janvier 1962.

Dans un courrier à l’architecte Joseph Neufeld, Marc Chagall avait fait part de son inquiétude que ces vitraux, qu’il avait gracieusement offert et qu’il considérait comme parfaits, ne restent malheureusement méconnus. Mais après deux expositions dans des musées aussi prestigieux, lorsqu’ils arrivèrent en Israël pour prendre leur place définitive, leur renommée internationale était déjà faite.

« Pendant tout le temps que je travaillais, j’avais l’impression que mon père et ma mère regardaient par-dessus de mon épaule, et derrière eux il y avait des Juifs, des millions d’autres Juifs, disparus hier ou depuis des milliers d’années.« 

Marc Chagall.

Il exprima cependant une certaine tristesse lorsqu’il constata à quel point les hauts bâtiments récemment édifiés écrasaient la synagogue, et dénonça à mots couverts une atteinte à son travail.

Inaugurée le 6 février 1962 et endommagés pendant la Guerre des Six Jours en 1967 – il faudra plus d’un an pour les réparer -, ce sont chaque année des milliers de visiteurs d’Israël mais aussi de l’étranger qui viennent admirer cette oeuvre majestueuse à la spiritualité biblique, réconciliant ainsi l’artiste avec ce qui est sans doute une de ses plus belles œuvres.

 

Si vous désirez aller plus loin :

Les vitraux de Chagall, collectif, aux éditions Citadelles et Mazenod. 240 pages. 69,00€.
Chagall, de la palette au métier, le catalogue de l’exposition, aux éditions Snoeck. 215 pages. 28,00€.
Chagall et la musique, le hors-série Beaux Arts. 48 pages. 9,00€.
Chagall et la musique, le catalogue de l’exposition, aux éditions Gallimard. 360 pages. 45,00€.
L’abécédaire de Chagall, à petit prix, aux éditions Flammarion. 119 pages. 3,95€.
Le petit dictionnaire Chagall en 52 symboles, aux éditions RMN. 150 pages. 12,00€.
Chagall, la biographie complète, par Jackie Wullschläger, aux éditions Gallimard. 592 pages. 29,90€.
Chagall : entre guerre et paix, le catalogue de l’exposition, aux édition RMN. 240 pages. 35,00€.

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