« Les Wildenstein », de Magali Serre : l’épopée familiale d’une dynastie de marchands d’art

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Wildenstein. A la simple énonciation de ce nom, tous les superlatifs et tous les fantasmes se font jour, mêlant excès, luxe, pouvoir, fortune démesurée et grands noms de la peinture.

Emblématique et médiatique lignée de marchands d’art, lesWildenstein règnent depuis plus d’un siècle sur ce marché prestigieux et fermé où se croisent têtes couronnées,  industriels, hommes politiques ou investisseurs.

Fondateur de ce qui deviendra la « dynastie » Wildenstein – les « W » comme on les surnomme dans le monde de l’art, Nathan n’avait pourtant rien qui pouvait laisser présager d’un avenir parmi les grands noms de la peinture mondiale. Fils d’un modeste marchand de bestiaux alsacien, il est âgé de 20 ans lorsqu’il décide en 1871 de gagner Paris, sans le sou et sans aucune culture artistique. Pour survivre, il trouve un petit travail chez un vendeur de tissus, jusqu’au jour où une rencontre d’apparence fortuite va faire basculer le cours de sa vie et amorcer le « commerce de l’art ». La comtesse Potocka, cliente du magasin, confie une de ses toiles, un portrait d’un dignitaire flamand attribué à Van Dyck, à Nathan, et charge ce dernier de la revendre. Menant avec fruit cette première transaction, le jeune homme acquerra avec l’argent de cette vente ses deux premiers tableaux, un François Boucher et un de la Tour. A une époque où la bourgeoisie et l’aristocratie semble en quête d’un « revival » artistique, s’intéressant de plus en plus aux maitres anciens, Nathan Wildenstein se lance dans le commerce d’œuvres d’art en reconnaissant volontiers qu’il l’exerce plus par profit que par réelle passion artistique.

Spécialisé dans la peinture du 18ème siècle, il ouvre sa première galerie en 1881, dix ans à peine après son arrivée dans la capitale. L’ouverture de succursales à New York, sur la prestigieuse 5ème avenue, et à Londres , suivront bientôt. La dynastie des Wildenstein est née.

En 1923, il crée l’écurie Wildenstein, dans laquelle s’illustrera quelques décennies plus tard son arrière-petit-fils Guy, remportant au cours du 20ème siècle les plus grandes victoires – Prix de Diane, Prix d’Amérique, Prix de l’Arc de Triomphe… Même si lors de ses heures les plus glorieuses, elle comptera plus de 600 purs sangs, elle reste une goutte d’eau au regard de l’empire Wildenstein.

Mais si Nathan, voyait dans le commerce de l’art un moyen de gagner beaucoup d’argent, ce sera surtout Daniel, son petit-fils, passionné d’art et expert du peintre impressionniste Claude Monet, qui fera des galeries Wildenstein de réelles multinationales, et de la lignée la plus grande dynastie de marchands d’art du 20ème siècle, régnant sans partage sur le monde de l’art.

Dans son ouvrage sobrement intitulé Wildenstein, Magali Serre brosse un portrait rapide de chacun des membres de cette famille, mettant en lumière leurs caractères et leurs tempéraments pour certains diamétralement opposés, et qui aide à mieux comprendre comment la dynastie va imploser au cours des premières années du 21ème siècle.

Celui qui, à l’image des incontournables ouvrages de Pierre Assouline – Le dernier des Camondo, Grâces lui soient rendues : Paul Durand-Rueil, le marchand des impressionnistes, L’homme de l’art : D.-H. Kahnweiler entre autres, serait en quête d’un récit aux allures de conte de fées – que l’on serait d’ailleurs en droit d’attendre avec un tel sujet, serait déçu. Magali Serre a en effet volontairement axé son ouvrage sur la partie la plus secrète de la dynastie Wildenstein, emmenant littéralement le lecteur « de l’autre côté du miroir » où ne se reflètent alors plus que les aspects les moins pétillants et les plus ternes d’un clan aux membres froids et calculateurs, assoiffés d’argent et de pouvoir.

A sa mort en 2001, Daniel Wildenstein, surnommé « l’homme aux 10.000 tableaux et à la fortune de 4 milliards d’euros » laisse derrière lui un empire international colossal que ses deux fils, Guy et Alec, s’empresseront de récupérer en dépossédant sa veuve Sylvia, cette belle-mère qu’ils n’ont jamais aimé. Prétextant que Daniel est mort ruiné, Sylvia signera sans sourciller tous les papiers qu’ils lui tendront, sans se douter qu’elle renonçait dans le même temps à la succession de son mari.  Qu’elle se soit toujours désintéressée des affaires de Daniel conduira Sylvia Wildenstein à sa ruine.

Dans leur grande générosité, ils lui offriront cependant une rente mensuelle de 30.000 euros par mois – rente largement insuffisante pour une épouse de milliardaire habituée à tous les excès, les frais de voitures, fourrures, bijoux, personnels et voyages du couple représentant à eux-seuls la bagatelle de 25 millions de dollars par an, ainsi que quelques chevaux, et un appartement de 600m² au Bois de Boulogne. Mais lorsqu’elle comprendra qu’elle a été lésée de son héritage par ses beaux-fils, et qu’elle verra les portes de toutes les résidences Wildenstein se fermer devant elle, Sylvia se lancera dans une bataille sans merci afin de tenter de récupérer ce qui lui revient. Une lutte de trop pour la dynastie Wildenstein.

Au fil des pages du récit qui s’égrènent, entre fraudes fiscales et trafic de biens culturels, le lecteur passe tout à tour du navire amiral de la rue de la Boétie  à l’appartement de Manhattan aux murs recouverts de Renoir, de Monet, de Cézanne, du ranch kenyan de 30.000 hectares où se croisent acteurs et membres de la famille royale britannique aux ports francs de Genève, considérés comme le plus vaste coffre-fort du monde, stockant dans ses containers pour des milliards d’euros de toiles de maitres, de sculptures, de vins fins, de pierres précieuses, et est littéralement immergé dans un univers déconnecté de la réalité, où aucun excès ne semble avoir de limites.

Les Wildenstein, de Magali Serre, aux éditions Lattès. 280 pages. 18.00€.

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