« Matisse, comme un roman » au Centre Pompidou : l’exposition du 150ème anniversaire…

Il en est qui peinent à connaître leur voie : Matisse n’est pas de ceux-là. Il est en qui tâtonnent à se forger un destin : pas Matisse. Il en est qui longtemps se contentent de copier et d’imiter : Matisse non.

Même si au départ le vent lui était plutôt défavorable et que, natif d’un coin paumé au pays des chtis, il devient clerc de notaire pour plaire à papa et à l’ordre des choses. C’est à peine s’il tient quelques années de ce qui aurait dû être la carrière ordinaire d’un petit bourgeois de province. Il le sait, il veut peindre, et il monte à Paris.

Bien sûr, tout ne se passe pas de manière totalement idéale, et, s’il entre dans l’atelier de Gustave Moreau, qui passe alors pour le « maître des maîtres », c’est pour s’entendre infliger cette sentence lourde de sens : « Vous allez simplifier la peinture ! » Plus tard, mais bien plus tard seulement, l’avenir de Matisse donnera raison à Gustave Moreau, et dans le meilleur sens du terme.

Dès le début du XXème siècle, il n’a guère plus de trente ans, on parle de lui, et surtout en 1905, lorsqu’il s’avise d’exposer au Salon d’automne de 1905 avec Marquet, Vlaminck, Derain et Van Dongen. Un critique ulcérée parle, pour les toiles réunies, de « cage aux fauves ». Dès lors, le mot est lancé : les nouveaux venus sont des Fauves, et Matisse le premier. Ainsi parfois le destin est-il taquin : Matisse devient l’homme par qui le scandale arrive…

Matisse est-il fauve ? Lui-même se défie des étiquettes et n’en revendique guère. Ce qu’il cherche, d’abord, surtout, —et qu’il cherchera sa vie durant —, c’est la couleur et la lumière. Et il s’en va les chercher loin : en Bretagne, en Méditerranée, et jusqu’à Tahiti.

L’idée est claire et nette dès les premières années du XXème siècle : Matisse veut que la couleur prime sur le dessin ; il veut que ce soit la couleur qui dessine. Et pour y parvenir, il va multiplier les débordements insolites et extasiés, ainsi dans sa Gitane de 1905, où le portrait de la femme est formé d’aplats de peintures amoncelés dans un faux désordre apparent qui, tout à la fois, la rendent irrationnelle et parfaitement sensuelle. Ce sont des explosions de feux d’artifices et d’art qui flashe, au point que le modèle n’en devient plus qu’un prétexte : dans son Nu assis de 1909, on distingue tout juste le corps de la femme et le décor derrière elle : même densité, mêmes teintes, si bien que l’un et l’autre composent des lignes douces et harmonieuses.

Pourtant, Matisse tient à ses modèles. Il les chérit profondément, ces femmes qui se dénudent pour lui : il porte aux nues les nus. Mais les jambes, les fesses, les seins, ne valent plus comme tels et deviennent, sous le pinceau du maître, formes, élancements, vecteurs, et autant de façon de produire un choc visuel.

Très vite, dans l’œuvre, on voit apparaître le motif récurrent de la fenêtre et celui du miroir : comme l’idée d’une ouverture perpétuelle sur le monde, et celui de créer un reflet du monde. La fenêtre est déjà dans l’Intérieur à Collioure (la sieste) de 1905, et le miroir dans L’intérieur aux aubergines de 1911, où l’un et l’autre permettent d’ouvrir les perspectives offertes par le cadre du tableau.

Lorsque la guerre éclate en 1914, guerre à laquelle Matisse ne pourra participer, il en fait écho dans son Porte-fenêtre à Collioure (1914) : la porte-fenêtre en question n’ouvrant que sur un univers noir, clos, mort, éteint ! Et ce sera une sorte de victoire en peinture pour lui, que de peindre en 1918 Le violoniste à la fenêtre : l’artiste au visage blanc, non identifiable, joue devant sa fenêtre enfin ouverte, et face à un ciel où semblent peu à peu disparaître les nuages…

Gustave Moreau le disait de façon péjorative, mais il n’avait pas tort : Matisse a simplifié la peinture. Il l’a rendue accessible, directe, évidente, à la façon d’un dessin d’enfant. Cet homme solaire, ce bon vivant de la palette, ce Bacchus du pinceau, aura passé sa vie à rechercher l’évidence de la couleur. Rien d’étonnant à ce qu’une telle démarche s’achève, à partir de 1937, par les gouaches découpées, triomphe définitif du motif coloré sur la notion même de dessin, et par la sublime série des Nus bleus, maîtrise totale du ciseau et de l’espace, façonnage de la forme par les pleins et les vides, aboutissement de la couleur…

On pourra seulement déplorer, au sujet de cette exposition Matisse de Beaubourg, qu’elle se montre parfois si académique et intellectuelle pour célébrer un artiste qui, toute sa vie durant, ne fut jamais ni l’un ni l’autre.

Matisse, comme un roman, actuellement et jusqu’au 22 février 2021 au Centre Pompidou.

Partagez vos impressions

Cet article vous intéresse ? Laissez un commentaire.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.