Pour commencer, il y a le lieu. Dans la pensée de l’architecte, Daniel Libeskind, un immeuble se doit de raconter une histoire. Et puisque lui, architecte, ne dispose pas des mots, il va, pour raconter, se servir de l’espace, des couleurs, des matières, des lumières et de la sensation physique du corps dans l’espace, le corps du visiteur. Et cette histoire sera celle du peuple juif de Berlin.
Au bas d’un escalier de ténèbres et de rigueur s’ouvrent trois axes divergents sans être pour autant contradictoires : l’exclusion, l’exil et la continuité. Avant la Seconde Guerre mondiale, 160.000 juifs vivaient à Berlin, 55.000 furent déportés, 100.000 quittèrent la ville et, en 1989, au moment de la chute du Mur, ils n’étaient plus que 200.
Partir, mourir, advenir : le destin d’un peuple tout entier durant un siècle. Un seul axe, celui de la continuité, conduit à l’espoir : tout au bout, un escalier si immense qu’il semble ne jamais vouloir finir, mène à l’exposition permanente du musée. Celle-ci s’évertue à cerner, depuis les plus lointaines origines – celles du mot ashkénaze lui-même – jusqu’à aujourd’hui, l’identité juive.
Qu’est-ce qu’être juif ? Comment l’est-on ? Comment le devient-on ? Où vivent les juifs ? Comment vivent-ils ?
Et l’ensemble est mené avec un parti-pris de précision, de simplicité et de pédagogie. Chaque section explique, de façon claire, en quoi consistent les rites, en quoi ils se distinguent d’autres rites plus ou moins proches – la confrontation en particulier avec les éléments chrétiens est frappante -, ce que signifie la notion de « kasher », comment les juifs eux-mêmes vivent leur judaïté…
Beaucoup de cartels sont destinés à un jeune public mais permettent à tous une meilleure compréhension. Le principe directeur du musée est de lutter contre l’ignorance ou la méconnaissance, responsables essentiels et parfois uniques des violences antisémites. « Et si tout le monde apprenait, de façon simple, ce qu’est la judaïté ? » semble-t-on nous dire tout le long du parcours. Expliquer pour lutter, proposer pour convaincre, éduquer pour résister.
D’autres secteurs sont plus particulièrement destinés aux adultes, telle cette vidéo dans laquelle cinq rabbins de nationalités, et donc de sensibilités, différentes dont Delphine Horvilleur pour la France – sont interrogés à propos des lois rabbiniques. Et tous les cinq s’accordent sur le fait qu’en l’absence d’un chef suprême, Pape ou gourou, la religion juive ne comporte pas de dogme fermé mais consiste plutôt en une suite ininterrompue d’interprétations de la Torah et une adaptation aux besoins de l’époque. C’est ainsi, estiment au moins deux d’entre eux, que peut légitimement se poser la question des unions homosexuelles puisque cette problématique est vécue de façon favorable par nombre de nos contemporains. Ce qui ne signifie pas, pour autant, copier servilement ce que pratiquent d’autres religions, mais trouver une façon d’interroger la Torah et de trouver une forme d’expression spécifiquement juive.
Telle encore cette œuvre monumentale d’Anselm Kiefer dans laquelle l’artiste a tenté de donner une idée claire des bases mêmes de la Kabbale et des célèbres vases brisés que l’humanité croyante s’efforce de recomposer par la prière et la pratique.
Juste à la fin du parcours, une petite sculpture, L’amitié au cœur, œuvre du français Etienne-Maurice Falconet. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’œuvre avait été dérobée et appartenait à la collection privée de Goering : un ange aux deux bras serrés et dont les mains sont posées sur la poitrine à l’emplacement du cœur. A la Libération, dans le transport, l’œuvre fut abîmée, elle en perdit les deux bras ainsi que la tête et, désormais, à cause de la haine des hommes, l’ange ne porte plus les mains au cœur. Il n’a plus ni tête ni cœur : lourd symbole.
Quel que soit le rapport que l’on entretient avec la judaïté, le musée juif de Berlin donne à réfléchir et crée un salutaire effet de choc : on ne s’interroge jamais suffisamment.
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