« Shanghai Dream », l’histoire et le destin méconnus des Juifs de Chine…

Berlin studios de l’UFA, novembre 1938. Après avoir travaillé durant huit années pour les plus grands studios d’Europe, désormais dirigés par le Reich et tout dévolus à la propagande nazie, Bernhard Hersch, assistant metteur en scène, et son amie Illo, scénariste, ont tous les deux été renvoyés parce que… juifs.

Depuis fin 1935 et la promulgation des lois de Nuremberg, des milliers d’israélites ont en effet interdiction de pratiquer leur profession, plongeant ainsi les plus fragiles et ceux qui n’ont pas eu la possibilité de fuir dans une extrême précarité. Contraint de vivre chez ses beaux-parents rue Oranienburg, dans le quartier juif de Berlin, Bernhard doit chaque jour composer avec Frederick, son beau-père irascible, héros médaillé de la Grande Guerre. 

Si trois ans plus tôt, l’ensemble de la famille avait pu obtenir des visas pour quitter l’Allemagne pour les Etats-Unis, les hésitations de Frédérick et ses certitudes quant à un apaisement de la situation envers les Juifs d’Allemagne allaient laisser le précieux Sésame expirer. Les Juifs voulant fuir le Reich se comptant désormais par milliers, et les possibilités étant plus rares et plus chères que jamais, la seule alternative résidait désormais en une destination ne nécessitant aucun visa.

Et tandis que le pays se réveille après deux nuits d’émeute sans précédent connues sous le nom de « Nuit de Cristal », Illo, Bernhard et Frederick découvrent cette destination, située de l’autre côté du globe : Shanghai.

Au prix de toiles impressionnistes bradées et de bijoux en or fondus pour être revendu, Bernhard achète deux  billets sur le Postdam, au départ du port de Gênes. Deux billets seulement. Il n’en restait pas plus… Mais pour Bernhard, la traversée se fera finalement seul.

Arrivé à Shanghai, où les très nombreux immigrants Juifs d’Europe sont pris en charge par le Jewish Joint Commitee, Bernhard s’installe dans la pension de Lin-Lin, qui travaille parallèlement pour le capitaine Koreshige Inuzuka, directeur des affaires juives de Shanghai, alors sous occupation japonaise. Mais bien que le Japon soit un allié de l’Allemagne nazie, et malgré les pressions de cette dernière pour faire enregistrer tous les Juifs de la ville, Inuzuka et son gouvernement estiment préférable de laisser aux quelques 20.000 juifs de Shanghai la possibilité de gérer leur affaires, qu’il soient propriétaires d’hôtels, d’entreprises, de stations de radios, de journaux ou encore de salles de cinémas…

C’est d’ailleurs dans l’un d’eux que Bernhard va décrocher un petit boulot de projectionniste, au Grand Théâtre, propriété de Maury Kaufman, dans le quartier occidental de la ville, avant de s’atteler à un projet plus ambitieux.

Sur fond d’entrée en guerre des Etats-Unis suite à l’attaque de Pearl Harbor, quasiment sans moyen et sans équipe, le jeune homme décide de tourner le dernier scénario écrit par sa chère Illo. 

Si elle fait la part belle à l’industrie cinématographique à l’époque de la Seconde Guerre Mondiale, posant ainsi le fil conducteur nécessaire au récit, cette fresque historique revient également dans sa première partie sur la vie des Juifs de Berlin à la fin des années 30, avec ses humiliations, ses persécutions, ses arrestations arbitraires, ses pogroms précurseurs d’un drame dont l’horreur restait à venir.

Elle permet aussi – et surtout dirons-nous – de mettre en lumière cet épisode encore méconnu de milliers de Juifs fuyant vers une destination des plus improbables, de l’autre côté de la terre. Si la situation des Juifs de Shanghai au lendemain de l’invasion japonaise laissait présager du pire, la cité chinoise se révèlera être un refuge et également l’unique alternative à une mort presque assurée en Europe.

Richement illustré par Jorge Miguel et très bien documenté sur un scénario de Philippe Thirault, Shanghai Dream, au-delà de son aspect historique et tragique, est une très belle invitation au voyage et à l’Orient, qui se savoure en quelques heures…

Shanghai Dream. Coffret 2 tomes, de Jorge Miguel et Philippe Thirault, aux éditions Les Humanoïdes Associés. 108 pages. 29,00€.

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