Marc Chagall a déjà soixante-trois ans au début des années cinquante lorsqu’il s’atèle au projet majeur qui va l’occuper dix ans durant : le message biblique.
Les douze toiles de très grand format – trois mètres par deux – recouvrent désormais tous les murs de la salle principale du musée national de Nice et happent littéralement le visiteur par leur énergie colorée, leur modernité joyeuse et leur densité.
A l’origine, Chagall accepte une commande de la Chapelle du Calvaire à Vence, la ville où il vient tout juste de s’installer. Et pour lui, cette commande tombe à point nommé : Chagall est né en 1887, en Biélorussie, d’une famille de juifs hassidiques. Toute son enfance a été bercée par les récits de la Genèse et de l’Exode, mais comme il a beaucoup voyagé, la plupart du temps sous la contrainte, il a assimilé nombre d’autres cultures et le Message biblique représente pour lui l’occasion idéale d’un syncrétisme des pensées, d’un œcuménisme de fait.
On observe ainsi, dans de nombreuses toiles, un constant mécanisme d’aller-retour entre le Mal et le Bien, la souffrance et le triomphe, l’horreur et la rédemption. Dans Adam et Eve chassés du paradis, Adam et Eve sont à cheval sur un coq rouge qui les emmène vers le haut et la droite de la composition : l’avenir.
A l’inverse, l’arc-en-ciel érigé par un ange au-dessus de Noé, symbole de l’optimisme total, s’accompagne chez Chagall d’une foule martyrisée évoquant les souffrances futures du peuple juif. Comme si, en permanence, le bien s’arcboutait sur le mal, comme si jamais le parti-pris manichéiste ne pouvait rendre compte de la complexité du réel.
Les toiles sont fréquemment construites en masses opposées ou en diagonales contradictoires comme un univers à plusieurs dimensions. Et le tout est conçu pour donner, d’abord et avant tout, du plaisir à l’œil : les toiles se font récits. Il peut s’agir d’une sorte de bande dessinée hébraïque dont la lecture va alors de droite à gauche avec Moïse devant le buisson ardent, ou bien de composition dans le gout médiéval avec la scène principale au centre, La lutte de Jacob contre l’ange et les éléments de compréhension, d’explication, sur le pourtours du tableau telles la rencontre avec Rachel, Joseph jeté dans le puits, le père en larmes…
Chez Chagall, à chaque fois il s’agit de donner du corps et de l’âme aux symboles : ainsi représenter l’intérieur de l’Arche plutôt que, de façon traditionnelle, la construction ou le déluge.
Et le tout, toujours, dans la couleur et la joie, comme un univers transcendant de chaleur où éclateraient, tour à tour, les rouges, les jaunes, les bleus, les verts…
Le propos de Marc Chagall est universel. Il mélange les symboles : le Christ en croix porte, en guise de pagne, le talit de la synagogue ; Adam est assis en position de lotus, comme un yogi. Chagall mêle également le profane et le sacré : son échelle de Jacob se fait croix du Christ et trapèze du funambule.
Pour lui, le monde est un chant, le monde est une couleur. Il a toujours ainsi considéré le Jésus des chrétiens comme étant, d’abord et surtout, juif, et, par voie de conséquence, comme l’évident et éminent symbole des souffrances du peuple juif tout entier. C’est bien pourquoi il convoque le Christ dans son autoportrait Descente de croix sur fond bleu. « Pourquoi bleu ? s’amusait-il à déclarer, mais je suis bleu comme Rembrandt était brun. »
Les douze grandes toiles du Message biblique ne furent jamais installées dans la Chapelle de Vence. En 1966, André Malraux propose à Marc Chagall qu’elles constituent le fond d’un musée qui lui serait consacré.
Marc Chagall, le petit juif hassidique, dont une œuvre avait été brulée par les nazis lors de l’autodafé de Mannheim ; Marc Chagall qui s’était vu refuser la nationalité française par le gouvernement de Vichy ; Marc Chagall devint ainsi le premier artiste vivant à avoir un musée consacré à son œuvre. C’était en 1973.
Cet article vous intéresse ? Laissez un commentaire.