Waldemar-George. Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais Waldemar-George, né Jerzy Waldemar Jarocinski à Lodz, en Pologne, fut dans la période de l’entre-deux guerres l’un critiques d’art les plus influents. L’un des plus controversé aussi…
Jerzy Waldemar Jarocinski arrive à Paris en 1911, fréquente le Montparnasse, et rencontre inévitablement tous les grands artistes qui ont fait de ce quartier l’un des plus célèbres de la capitale : Kikoïne, Modigliani, Lipschitz, Soutine, Pascin… et Marc Chagall en 1922.
Quatre décennies plus tard, lorsque Waldemar-George décide d’écrire Chagall et l’Orient de l’esprit, une biographie consacrée à l’artiste de Vitebsk, alors âgé de soixante dix-sept ans, il ne doute à aucun moment de son projet. Les deux hommes sont amis de longue date, et le critique a déjà signé quantités de biographies, dont celles de Picasso, Chirico ou encore Juan Gris pour n’en citer que trois.
Mais lorsque qu’il présente son texte de soixante-neuf pages à Marc Chagall, qu’il achève de rédiger vers septembre 1964, c’est la surprise ! L’artiste va lui renvoyer peu de temps après corrigé, annoté, et amputé de passages entiers qu’il ne souhaite pas voir apparaître : ses sources populaires — il va jusqu’à nier les origines bibliques de son inspiration —, ou encore l’intégralité du chapitre IV, intitulé Le climat visuel, dans lequel Waldemar-George évoque le shtetl, la vie quotidienne et les différentes traditions du judaïsme.
“Marc Chagall est parti de Russie avec un réservoir d’images dans ses malles d’émigré.”
Waldemar George.
Lorsqu’il informe Marc Chagall de sa grande surprise, ce dernier l’informe que selon lui, le côté biographique occupe beaucoup trop de place au détriment de l’aspect technique historique. En tout, ce sont près de neuf feuillets sur les trente-neuf que compte la biographie qui sont ainsi supprimés.
Cet ouvrage, qui devait initialement être tiré en édition limitée et luxueuse à deux cents exemplaires, et contenir quatre dessins et plus de vingt planches couleurs, ne verra finalement le jour que six décennies plus tard. Pour la plus grande déception de l’auteur, qui ne le cache pas aux lecteurs dans sa « lettre », en toute fin d’ouvrage :
“Au cours d’une carrière qui s’étend sur près d’un demi siècle, j’ai consacré un certain nombre de livres à Matisse, Picasso, Léger, Juan Gris, La Fresnaye, Rouault, Chirico, Utrillo, Soutine, Gromaire, Goerg, Despiau, Maillol, Lipschitz, etc. Aucun des artistes précités n’a voulu peser sur mon jugement. Tous m’avaient fait confiance, Marc Chagall excepté”.
Waldemar-George.
Si Chagall et l’Orient de l’esprit devait initialement être édité au milieu des années 60, il faudra donc attendre 2020 pour qu’une version, certes simplifiée mais passionnante à de nombreux égards, ne soit disponible, co-édité par la RMN, l’IMEC et le Musée d’Art et du Judaïsme.
Trente-cinq ans après sa disparition, Marc Chagall n’en finit pas d’inspirer… et de se livrer.
Chagall et l’Orient de l’esprit, de Waldemar-George aux éditions RMN. 120 pages. 18,00€.
Cet article vous intéresse ? Laissez un commentaire.