Aller assister à une pièce au théâtre de l’Epée de bois est déjà en soi une expérience troublante tant ce lieu, possède de charme. Dans le cas présent, pour la pièce de Jean-Claude Grumberg, le dispositif scénique et d’accueil choisi par le maître des lieux, Antonio Diaz-Florian, renforce encore plus ce sentiment d’une plongée immersive dans un univers parallèle.
La pièce s’intitule Dreyfus, mais elle ne se déroule pas à Paris en 1895 : nous nous trouvons quelque part, au fin fond de la Pologne, dans les années trente, et nous assistons aux tentatives d’une petite troupe locale pour monter une pièce de théâtre sur « L’affaire ».
Maurice, le metteur en scène incarné par Abderrahmane Ouldhaddi, a bien du mal à gérer les coups de gueule et les egos mal lavés de ses comédiens, surtout ce vieux renard d’Arnold, joué par Antonio Diaz-Florian, le plus capé mais qui trouve perpétuellement quelque chose à redire. Et chacun d’y aller de son affect, de ses peurs et de ses envies de gloire.
Le décor est simple et quelques étais de bois l’indiquent suffisamment : nous sommes dans l’envers du décor. Pas directement dans « L’affaire » elle-même : la condamnation du capitaine Alfred Dreyfus, accusé d’espionnage de façon précipitée et sans preuve réelle, sa dégradation et son incarcération au bagne, la défense menée par un certain nombre de courageux au premier rang desquels Emile Zola, puis sa réhabilitation quelques années plus tard.
Cette affaire, même si elle constitue le fond de travail de la petite troupe, ne va pas nous être racontée. Elle sera évoquée, à plusieurs reprises, mais surtout on va abondamment se questionner à son sujet.
L’écart entre la France fin de siècle et la Pologne des années trente va servir de toile de fond à des questionnements autour de l’antisémitisme, de la politique des états, des guerres passées et à venir. De ce qui pourrait se produire en Pologne, ou bien dans l’Allemagne toute proche.
Au fond de la scène, plaquée au mur et surmontée d’une photo du capitaine Dreyfus, se trouve une armoire à clés, comme si, sous nos yeux, on allait se mettre ici et maintenant à « chercher les clés » du problème. Et, par exemple, pourquoi dans un pays très civilisé comme la France, où les juifs étaient heureux, à la faveur d’une misérable erreur judiciaire est née soudainement une vague antisémite d’une violence inouïe ? Ou encore que faisait donc Dreyfus dans l’armée, puisqu’il était juif, et pourquoi ne pas se contenter d’un métier traditionnel, tailleur, prêteur sur gage ou cordonnier ? Et puis également pourquoi Emile Zola a-t-il éprouvé le besoin de défendre Dreyfus qu’il ne connaissait même pas ?
Sous la forme alerte d’une succession de dialogues virevoltants et emplis d’humour, en ayant sans cesse l’air de ne pas se prendre au sérieux, les six comédiens et leur metteur en scène, menés à un train d’enfer par la mise en scène d’Antonio Diaz-Florian, explorent le terrain miné de l’antisémitisme à l’œuvre.
Une interrogation, hélas, des plus actuelles.
Dreyfus, actuellement au théâtre de l’Epée de Bois.
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