En janvier 1933, Adolf Hitler arrive au pouvoir en Allemagne. Entendant « sauver la culture allemande » de tous les courants d’avant-garde qui selon lui font sombrer l’Allemagne et son identité dans la décadence, il va ordonner le retrait de plus de 16.000 œuvres d’art des musées allemands, principalement issues des courants Cubiste, Dadaïste et Expressionniste.
A partir de juillet 1937, les œuvres considérées comme « dégénérées », en opposition à « l’art classique » encensé par le IIIème Reich, vont être partiellement réunies et faire l’objet d’une exposition itinérante dans une dizaine de villes à travers l’Allemagne et l’Autriche. Inaugurée à Munich, l’exposition Entarte Kunst (« Art dégénéré ») et les quelques 650 œuvres qu’elle présente accueilleront plus de trois millions de visiteurs, de Berlin à Vienne, en passant par Weimar, Leipzig ou Düsseldorf.
Après l’invasion de l’Autriche, des Sudètes et de la Tchécoslovaquie en 1938, puis de la Pologne en septembre 1939, l’Allemagne nazie entre en guerre. Sous la houlette d’Hitler et d’Hermann Goering commence alors pour le IIIème Reich un pillage artistique sans précédent, qui atteindra son point d‘orgue à partir de 1940 avec l’invasion de la France, où le statut des Juifs est proclamé.
Accusés d’avoir « volé les richesses des Français », les administrations françaises interdisent aux Juifs l’accès à certaines professions, confisquent leurs biens, leurs entreprises, leurs comptes bancaires, et surtout leurs œuvres d’art. Privés de toute source de revenus, les Juifs sont pris au piège de l’arrestation, de l’internement, puis finalement de la déportation.
Pour les commissaires-priseurs et les salles de vente aux enchères, l’arrivée de ces milliers d’œuvres d’art est une véritable aubaine, Paris devenant alors la plaque tournante internationale du marché de l’art. Entre 1941 et 1942, ce sont quelques deux millions d’œuvres qui vont être volées en France, dont une large partie transitera dans les salles de vente aux enchères de la capitale française, que ce soit en zone occupée, comme à Drouot principalement, ou en « zone libre », où la collection Armand Isaac Dorville, alors en exil à Cubjac, en Dordogne, sera par exemple exposée et vendue entre le 24 et le 27 juin 1942 dans le hall de l’hôtel Savoy de Nice.
« Sous l’Occupation, c’est la pénurie partout ! Or à Drouot, on vend de tout, et les cliquetis des maillets d’ivoire sont incessants. »
Emmanuelle Polack, commissaire scientifique de l’exposition.
Dans la capitale, de nombreux galeristes vont avoir à prendre des disposition d’urgence pour sauver leurs oeuvres et leur établissement.
Pierre Loeb, dont la galerie de la rue des Beaux Arts accueille depuis 1924 des toiles de Raoul Dufy, Marc Chagall ou Joan Miro, se voit contraint de fuir Paris pour Cuba, et de céder la gestion de sa galerie à un ami, Georges Aubry, afin que cette dernière ne tombe pas sous « administration aryenne ». A son retour d’exil, Georges Aubry se montrera fort réticent à restituer l’établissement à son propriétaire légitime, mais s’exécutera finalement face à la colère de Pablo Picasso.
L’une des galeries les plus connues de Paris, la galerie Rosenberg, située au 21 rue la Boétie, est l’une des principales adresses pour les œuvres d’avant-garde en France. A l’instar de nombreux autres marchands d’art, Paul Rosenberg va quitter la France précipitamment pour les Etats-Unis, après avoir mis à l’abri 162 toiles dans un coffre-fort à Libourne, coffre qui sera cependant forcé en avril 1941 par les autorités allemandes. La majeure partie de ces œuvres seront envoyées vers le Jeu de Paume, pour mieux disparaître ensuite. Grâce à Rose Valland, alors attachée de conservation qui va secrètement inventorier les quelques 100.000 œuvres d’art transitant par le Jeu de Paume, plus de 60% d’entre elles seront retrouvées après la guerre et reviendront en France, dont 45.000 seront restituées dans les cinq années suivant la fin du conflit.
René Gimpel, le « marchand des impressionnistes » et époux d’Adèle Vuitton, nièce du fondateur de la fameuse Maison qui imagina pour lui et son activité des caisses, malles et cassettes dans lesquelles ranger et expédier les toiles de ses amis Auguste Renoir, Haïm Soutine, Henri Matisse ou Marie Laurencin, fuit également Paris en juillet 1940. Comme Paul Rosenberg, René Gimpel cachera 81 caisses contenant des dizaines d’œuvres dans ses locaux de la rue Garibaldi, en attendant de pouvoir les transférer vers Monte-Carlo. Il n’en aura malheureusement jamais la possibilité. Déporté en juillet 1944, René Gimpel meurt à Neuengamme en janvier 1945.
Enfin, la galerie de Berthe Weill, amie des peintres et première femme marchande d’art à exposer et vendre des toiles de Matisse ou de Picasso, et à organiser en 1920 la première exposition monographique d’Amedeo Modigliani. Au cours de cette exposition, la seule du vivant de l’artiste, 32 peintures et dessins seront présentés, dont quatre nus qui vont créer un scandale lors du vernissage en raison de leurs… poils. Ouverte en 1901, la galerie Berthe Weill fera faillite en 1939 en raison d’importants problèmes financiers. A l’issue de la guerre, pour venir en aide à celle qui les avait découvert, six peintres vont organiser la vente de 80 toiles à son profit, et ainsi permettre à la galeriste de vivre dignement jusqu’en avril 1951, date de son décès.
Au terme d’une minutieuse enquête entre la France, l’Allemagne et les Etats-Unis, l’exposition Le marché de l’art sous l’Occupation. 1940-1944 interroge sur la face cachée du marché de l’art durant la Seconde Guerre Mondiale, et met en lumière sa part la plus sombre. A l’aide de 300 documents, photographies, affiches, objets et exemples concrets, elle revient sur la destinée de quatre prestigieux marchands, et le parcours de certaines œuvres depuis leur spoliation à Paris, jusqu’à leur restitution, comme les tableaux de John Constable ou de Thomas Couture, présentés dans l’exposition.
Le marché de l’art sous l’Occupation, au Mémorial de la Shoah jusqu’au 3 novembre 2019.
Si vous désirez aller plus loin :
– Le marché de l’art sous l’Occupation, de Emmanuelle Polack, aux éditions Tallandier. 336 pages. 21,50€.
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