Des milliardaires aux émigrants : les passagers juifs du Titanic

Il y a un mois jour pour jour, le 18 juin 2023, l’explorateur français Paul-Henri Nargeolet perdait la vie lors d’une plongée sur l’épave du Titanic, à bord d’un submersible touristique. C’était sa 33ème plongée.

Alors, autant dire que l’ouverture de Titanic, l’exposition. De vrais objets, de vraies histoires, à la Porte de Versailles du 18 juillet au 10 septembre 2023, résonne aujourd’hui de manière particulière.

Un siècle après son naufrage dans l’Atlantique-nord, le légendaire liner reprend vie pour sept semaines seulement. A travers un parcours de plus de 2.000 m², des reconstitutions exceptionnelles invitent les visiteurs à plonger dans le mythe du plus tristement célèbre navire du monde.

Cabines, locaux techniques, véranda, et surtout le grand escalier de la première classe avec son impressionnante verrière sont ici reconstitués. Mais une émotion encore plus particulière se dégage des quelques deux cent cinquante objets récupérés des entrailles de l’océan, sur les lieux mêmes de l’épave. Deux cent cinquante objets sur plus de cinq mille retrouvés à ce jour, récupérés notamment lors des expéditions de Paul-Henri Nargeolet : vaisselle au logo de la White Star Line, bijoux, pièces de monnaie, cartes à jouer, argenterie, et même des bouteilles de Pommery, Mumm ou Moët et Chandon dans lesquels se trouve encore du champagne…

Un double témoignage donc que cette exposition, à la fois pour les victimes mais aussi pour l’explorateur.

« Grâce à ces objets, on retrouve l’histoire de gens dont on n’aurait jamais parlé. Parce que, qu’est-ce qui a été mis en avant très souvent ? Ce sont les célébrités de l’époque qui étaient les millionnaires ou milliardaires de l’époque. Mais les histoires des émigrants qui voulaient avoir une vie meilleure aux États-Unis ont été oubliées. »

Paul-Henri Nargeolet, spécialiste du Titanic à FranceInfo.

Titanic, l’exposition revient également sur les biographies de quelques personnalités qui se trouvaient à bord. Certaines sont célèbres : le capitaine Edward Smith, Thomas Andrews, l’architecte du navire et Joseph Ismay, son armateur, Madeleine Astor, la jeune épouse de John Jacob Astor IV ; et d’autres moins : Ruth Becker, René Pernot, le chauffeur de Benjamin Guggenheim, le père Thomas Byles, le fabriquant de parfum Adolphe Saalfeld…

Si on sait combien de personnes se trouvaient à bord le 15 avril 1912 – 2.207 exactement : 1.316 passagers et 891 membres d’équipage -, des centaines de corps ne furent jamais retrouvés. Beaucoup d’éléments demeurent encore énigmatiques, contribuant à forger la légende centenaire du Titanic. Le nombre de passagers juifs à bord en est une…

Grâce à ses recherches et en ne travaillant que sur les noms à consonances juives, Gertrude Singer Ogushwitz en aurait dénombré quatre-vingt sept. Nous savons qu’ils étaient bien plus nombreux, peut-être deux ou trois fois plus, beaucoup d’entre eux voyageant sous une fausse identité, nécessaire pour quitter les pays qu’ils fuyaient.

Pour rappel, près de trois millions de personnes ont quitté l’Europe entre 1880 et 1920.

Quatre-vingt-sept passagers juifs donc : vingt-cinq en première classe, vingt-six en seconde, et enfin trente-six en troisième. Avec le magnat du cuivre Benjamin Guggenheim ou encore le diamantaire Jakob Birnbaum – qui aurait dû voyager sur un autre navire -, on retrouve en première classe Isidor Strauss, co-propriétaire avec son frère Nathan des magasins Macy’s.

Isidor Strauss voyage avec son épouse Ida. Ils ont l’habitude de passer leurs hivers à Nice et achèvent avec ce voyage un long séjour en Europe, où ils s’étaient rendus à Rome pour une conférence sur la tuberculose. Ce voyage de retour vers New York, Ida et Isidor auraient dû le faire avec Nathan et son épouse Lina. Quelques semaines plus tôt, tous les quatre s’étaient rendus en Palestine ottomane pour découvrir le pays. Nathan, touché par le grand dénuement des juifs de Jérusalem, renonça finalement à rentrer aux Etats-Unis et décida de rester sur place avec sa femme. Dans une région dévastée par la maladie et la pauvreté, le couple entreprend de mettre sa fortune au service de leurs coreligionnaires. Une décision de dernière minute qui leur sauva probablement la vie.

Lina et Nathan Straus (photo courtesy of Straus Historical Society)

Nathan Strauss créa des soupes populaires, des dispensaires, des écoles, et fonda le Lina Strauss Health Centers à Jérusalem, aujourd’hui intégré à l’hôpital Hadassah. Il consacra les deux tiers de sa fortune aux juifs de Palestine, finançant même à partir de 1927 la construction d’une nouvelle ville au nord de Tel Aviv. Cette ville porte aujourd’hui son nom : Natanya.

Sur le pont inférieur, en seconde classe, voyagent Hanna et Samson Abelsom, originaires de Russie, la famille Samuel, britannique, ainsi que Louis Hoffmann et ses deux fils, Michel et Edmond. Toutefois, Louis Hoffmann ne figure pas parmi la liste des passagers juifs du Titanic, et ce pour une simple raison : lui aussi voyage sous une fausse identité. Il s’appelle en réalité Michel Navratil, et a enlevé ses deux fils qui, quelques jours plus tard, seront connus comme “les orphelins du Titanic”. Originaire de Slovaquie mais installé en France depuis dix ans, tailleur de métier et admirateur de Paul Poiret, Michel Navratil quitte le pays suite à l’adultère de sa femme. Refusant que ses enfants soient confiés à leur mère, il embarque sur le Titanic sous un faux nom direction les Etats-Unis, où il espère ouvrir son commerce et, par la suite, prendre ses fils comme associés. Les deux enfants seront sauvés mais Michel Navratil, alias Louis Hoffmann, sombrera avec l’épave.

Parmi les passagers de seconde classe se trouve également Sinaï Kantor et son épouse Miriam, de Vitebsk. Tous deux fuient la Russie avec l’espoir de suivre des études de médecine en Amérique. Miriam Kantor embarqua dans le canot 10 et survécut au naufrage. Comme beaucoup d’autres hommes, Sinaï n’eut pas cette chance : son corps fut retrouvé, ramené aux Etats-Unis puis inhumé au cimetière Mount Zion de Maspeth. Les objets qu’ils portaient sur lui au moment de sa mort furent restitués à sa veuve, comme sa montre gousset en caractères hébraïques.


Montre à gousset de Sinaï Kantor.

Sur le pont inférieur encore, en troisième classe cette fois, se trouvent probablement le plus grand nombre de juifs, parmi les plus modestes. Une catégorie sociale qui, paradoxalement, rend les compagnies transatlantiques financièrement viables, celle-ci générant des profits grâce à l’émigration. Certains diront que la troisième classe du Titanic équivalait à la première classe d’autres compagnies. Pour nombre de ses passagers, c’était par exemple la première fois qu’ils étaient servis « à table ».

Le Titanic était équipé de cuisines spéciales pour les repas casher, préparés par le cuisinier juif à bord, Charles Kennel ; au bas des menus on pouvait lire “Menu casher disponible pour les passagers juifs”. Une vaisselle leur était réservée, avec des assiettes pour les produits lactés et d’autres pour les produits carnés, des couverts particuliers, etc… Malheureusement, aucun objet de ce type n’a pu être récupéré à bord du Titanic. La cuisine casher se trouvant sur le pont F et dans la partie arrière du navire, elle fut totalement détruite lorsque la coque s’écrasa au fond de l’océan.

Assiette pour la viande casher, disponibles à bord des navires de la White Star Line.

« Même sur le Titanic il y avait un cuisinier juif, dont le rôle était de préparer la nourriture casher pour les juifs. C’était quelque chose d’assez standard sur les paquebots de cette époque. Il y avait beaucoup de passagers juifs, des immigrants, et il y avait une vraie demande de viande casher et de cuisinier juif à bord ».

Eli Moskowitz, auteur du livre « Les Juifs du Titanic ».

La jeune Leah “Axman” Aks, dix-huit ans, fait partie de ces passagers de troisième classe. Elle voyage avec son fils de dix mois, Ephraïm, et espère gagner la Virginie pour rejoindre Sam, son mari. Quand le paquebot percute l’iceberg à 23h40 et que très vite il devient évident que le navire allait sombrer, dans la confusion Leah et son fils sont séparés, et embarqués dans des canots différents. On raconte que Madeleine Astor, l’épouse de John Jacob Astor, enceinte de cinq mois, aurait offert son châle à Leah pour protéger son bébé du froid. Deux jours plus tard, sur le pont du Carphathia qui les a secouru, Leah voit une femme tenant Ephraim dans ses bras. Une violente dispute éclate entre elles, l’autre femme assurant que le bébé est le sien.

Arthur Rostron, le capitaine du Carpathia, doit intervenir. Mais comment savoir laquelle de ces deux femmes dit la vérité ? Leah s’écrit alors « Je peux prouver que c’est mon fils, nous sommes juifs, il est circoncis. » Après vérification, Ephraïm est rendu à sa mère.

Quelques années après cet événement, Leah eut une fille qu’elle prénomma Sarah Carpathia, en souvenir du capitaine Rostron. Ephraïm Aks quant à lui, qui prit le nom de Franck Philip Aks, est mort en 1991 à Norfolk, en Virginie.

Les Goodwin en revanche n’eurent pas cette chance. Aucun des huit membres de la famille, originaires de Fulham en Angleterre, ne survécut. Jusque dans la mort elle voulut rester unie, comme ce fut notamment le cas pour le couple Ida et Isidor Strauss.


Portrait des Goodwin avec leurs six enfants.

La presse, toujours en quête de sensationnel et n’hésitant pas à donner dans la désinformation pour créer l’émotion, la tristesse, l’effroi…, affirme même que tous les passagers avaient été sauvés et que le bateau était en cours de remorquage vers la terre ferme. Le Forward quant à lui, principal journal en yiddish de New York, se montre plus réservé, titrant dès le lendemain « La terrible tragédie du Titanic ».

A peine un mois après la catastrophe, le cinéma lui aussi s’empare de l’événement avec Saved from the Titanic, dans lequel l’actrice Dorothy Gibson, passagère sur le paquebot lors du naufrage, joue son propre rôle. Le 15 avril 1912, elle avait embarqué dans le canot numéro 7, le premier à avoir quitté le navire.

Si l’exposition Titanic à la Porte de Versailles ne revient pas particulièrement sur les passages juifs du transatlantique, elle livre cependant d’émouvants récits de rescapés et présente des objets originaux permettant aux visiteurs de se replonger dans la légende. Un beau voyage dans l’histoire…

Titanic, l’exposition. De vrais objets, de vraies histoires, jusqu’au 10 septembre à la Porte de Versailles.

Si vous désirez aller plus loin :

Les enfants du Titanic, d’Elisabeth Navratil, aux éditions Livre de Poche. 352 pages. 6,90€.
Dans les profondeurs du Titanic, de Paul-Henri Nargeolet, aux éditions Harper Collins. 192 pages. 7,10€.
The Jews of the Titanic (en anglais), d’Eli Moskowitz, aux éditions Gefen Publishing. 264 pages. 19,95$.
The Titanic expeditions (en anglais), d’Eugene Nesmyanov, aux éditions The History Presse Ltd. 324 pages. 33,78€.

Et pour la jeunesse :

Le Titanic, de Claude Calire L’Hoër, aux éditions Quelle Histoire. 40 pages. 5,00€.
Titanic, de Sabine Boccador, aux éditions Fleurus. 32 pages. 8,95€.

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