Paula Padani, la danse migrante : Hambourg, Tel-Aviv, Paris

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Il est des destins que l’on pourrait croire d’avance brisés par la fatalité, de ces vies qui semblent condamnées à ne pouvoir jamais s’épanouir, des gens nés au mauvais moment et dans le pire des endroits : tel paraissait être le cas de Paula Padani.

Être issue d’une famille juive polonaise au début du XXème siècle, c’est être voué à l’exil permanent pour cause de misère et de haines raciales. Paula nait en 1913 à Hambourg mais, très vite, dès l’âge de huit ans, elle – ainsi que ses six frères et sœurs – se retrouve orpheline : la mère meurt de la tuberculose et le père est renversé par une carriole à cheval. Paula est aussitôt placée dans l’orphelinat Paulinensift qui, par chance pour elle, pratique une éducation très ouverte et très progressiste destinée à autonomiser les enfants et à les ouvrir à la culture et à la connaissance de l’univers. Elle qui, toute jeune, avait été initiée par ses parents à la musique et à la danse, poursuit son apprentissage.

C’est ainsi que, dès 1932, elle entre dans la prestigieuse école de danse de Mary Wigman. Paula bénéficie des conseils de cette pédagogue révolutionnaire qui déclarait que « marcher sur une ligne droite, c’est un mouvement stylisé, une transposition, un acte créatif » et qui posait la question « à quel moment le mouvement devient art ? »

Les étudiants du monde entier viennent suivre les cours de cette théoricienne de l’espace et du mouvement qui fait table rase de la chorégraphie classique et de ses codes pour prôner la recherche d’un élan fondamental dicté par le corps même de la danseuse. C’est en particulier à l’école de Mary Wigman que Paula Padani développe son minutieux travail sur le buste et sur les bras.

Hélas, en 1933, à l’arrivée au pouvoir d’Hitler, Mary Wigman fait serment d’allégeance au pouvoir nazi, et la jeune Paula Padani, bien que la plus douée de sa promotion, quittera l’école sans qu’on lui délivre le diplôme qu’elle avait amplement mérité. L’exil reprend. Paula a vingt-deux ans, aucune expérience professionnelle, aucune reconnaissance officielle : elle ne possède que sa rage de vivre et de danser. Les circonstances politiques la chassent et la malmènent telle une feuille au vent mauvais, qu’importe : puisque sa vie est une danse, elle fera de la danse sa vie !

A la suite de circonstances invraisemblables et dignes d’un roman dramatique, elle arrive clandestinement en Palestine mandataire. Tel-Aviv est, à cette époque, un véritable vivier d’artistes, la plupart juifs de l’Est, qui se retrouvent et s’entraident. Si certains se laissent submerger par le découragement et acceptent le déclassement social de l’exil, Paula ressurgit : elle fonde sa propre école de danse et, en parallèle, entre dans la compagnie de Gertrud Kraus où elle poursuit son travail de recherche. Malgré une situation politique des plus tendues, entre les conflits arabo-israéliens et la menace des troupes allemandes, Paula va mettre au point l’essentiel de son corpus personnel de spectacles. Ce seront des solos, et Paula va en composer trente en l’espace de dix ans. Car telle est l’aspiration de la jeune femme : danser seule sur scène, s’exprimer par le corps unique, épanoui, magique.

Le séjour en Israël est fondamental et fondateur : à ses racines européennes, Paula ajoute l’apport oriental, les folklores yéménites et bibliques et, bien qu’elle ne soit pas croyante, la dimension spirituelle de sa judaïté. C’est aussi en Israël qu’elle fait la rencontre de celui qu’elle épousera en 1943 : Michael Gottlieb.

Après la guerre, elle accompagne son mari à Paris parce qu’il veut tenter une carrière de peintre. Sous le pseudonyme d’Aram, ce dernier devient rapidement membre de la fameuse École de Paris. Mais, à Paris, Paula ne demeure pas inactive et commence à donner des récitals qui obtiennent un immense succès. Des photos de l’époque témoignent de cet engouement de l’époque pour la jeune « danseuse palestinienne » (c’est ainsi qu’on la surnomme) : sur l’esplanade du Trocadéro, on la voit évoluer, belle, gracieuse, aérienne, et représentant comme un symbole solaire venant s’opposer à celui, nocturne et sordide, d’Hitler qui était venu, lui aussi, sur cette même esplanade après avoir écrasé la France.

À cette époque où les récents vainqueurs ne savaient guère comment venir en aide aux survivants de la Shoah sinon en leur proposant des camps de réfugiés, Paula Padani est pressentie pour donner des récitals dans ces camps. Elle, la jeune femme, la danseuse, l’étoile légère et éternelle, représente le signe même de la résilience possible face aux forces du mal. Dans la zone d’occupation américaine, elle se produira dans plus de soixante camps de réfugiés, venant apporter la chaleur et le réconfort de l’art aux horreurs de l’Histoire.

Pourquoi, dès lors, la « danseuse palestinienne » a-t-elle ainsi été oubliée par la postérité ? C’est à l’évidence parce que son art était international, sa dimension sans frontière et, par conséquent, sa mesure totalement incompatible avec les normes habituelles. Il est dit que, décidément, ceux qui ont cette chance insolente d’être de quelque part n’aiment guère ceux qui ont  le malheur d’être de partout.

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