Camp de Toccoa, Géorgie, 1943. Âgé de seulement dix-neuf ans, le jeune Rod Serling n’a qu’une ambition : intégrer le 522ème régiment de parachutistes et gagner l’Europe pour combattre l’ennemi nazi. Jugé trop petit, il sera dans un premier temps recalé, avant d’être finalement accepté, à force d’entêtement.
Ce ne sera toutefois pas en Europe que son régiment sera amené à intervenir, mais de l’autre côté du globe, en plein océan Pacifique, en Nouvelle-Guinée, où il sera stationné durant cinq mois. Viendront ensuite les Philippines, avec son climat tropical, la malaria, les poches de résistants et kamikazes japonais, les mines, Manille, cette ville qui pue la mort et la souffrance… Puis Hiroshima, et la fin de la guerre.
De retour aux Etats-Unis, en proie aux démons qu’il a ramené du conflit, il reprends des études à l’université, et trouve dans la littérature et le journalisme une sorte d’exutoire. Directeur en 1948 d’ABS, la radio de l’école, et largement influencé par Orson Welles, il lance sa propre anthologie fictionnelle sur les ondes, où il est à la fois auteur, metteur en scène et interprète de plusieurs personnages. C’est également à cette époque qu’il rencontre Carol, qu’il va épouser malgré les réticences du père de cette dernière, désespéré de voir sa fille épouser un Juif désargenté.
Des ondes de Cincinnati à celles de New York, où To live a dream remporte un franc succès, les feuilletons de Rod Serling arrivent à l’écran avec les balbutiements de la télévision, dont les émissions sont à l’époque sponsorisées par de grandes marques – Lucky Strike ou Coca Cola en tête. Une période certes pleine de liberté artistique et d’initiatives, mais dont le financement et la diffusion pouvaient cesser du jour au lendemain pour peu que le message ne déplaise aux puissants sponsors.
Le 12 janvier 1955, son feuilleton Patterns est diffusé pour la toute fois à la télévision américaine. Evoquant le pouvoir et l’ambition, le succès sera immédiat et si considérable qu’un mois plus tard, le 9 février, Patterns est diffusé une seconde fois. Une première dans l’histoire de la toute jeune télévision.
En l’espace de quelques jours, Rod Serling sort de l’anonymat et devient l’auteur à succès que l’Amérique entière s’arrache, des éditeurs aux journalistes, en passant par les producteurs de Californie ou les salles de Broadway. Mais lorsque l’on a démarré avec un succès tel que Patterns, faire mieux – ou au minimum, aussi bien -, n’est pas une mince affaire.
Aussi, en voulant s’emparer de l’affaire Emmett Till, jeune noir assassiné en 1955 dans le Mississippi et dont les meurtriers, jugés par un jury exclusivement blanc, ont tous été acquittés, Rod Serling va se voir pour la toute première fois confronté aux pressions et à la censure. Décors, héros, lieux, fonds de l’histoire…, c’est l’ensemble de son script qui doit être remanié pour être réalisé et diffusé sur les chaînes américaines.
Son combat contre les censeurs et les sponsors venait de débuter.
Et si la société américaine des années 50 n’était pas prête à entendre parler de thèmes d’actualité à la télévision, qu’à cela ne tienne ! Désormais, ce sera dans le futur que les héros et les histoires de Rod Serling prendront forme. Un futur où la liberté devrait être totale.
De ses vieux cartons, il va ressortir un manuscrit rédigé au cours de ses années d’étude, l’étoffer, et le renommer… The Twilight Zone. La Quatrième Dimension. Diffusé pour la première fois sur les écrans américains dans Westinghouse Desilu Playhouse le 24 novembre 1958, The Time Element, épisode-pilote de 52 minutes, évoque Pearl Harbor et la guerre, un thème fort que Serling connait bien, et qui le hante toujours.
Dès le lendemain, les studios reçoivent plus de 6.000 lettres. Le feuilleton est encensé, le public captivé.
Et en octobre de l’année suivante, le fameux générique signé du chef d’orchestre Bernard Herrmann – qui composera également de nombreuses musiques de films d’Alfred Hitchcock -, fait entrer définitivement The Twilight Zone dans la légende.
Condamné à apparaître dans des publicités pour du répulsif à moustiques entre autre, Rod Serling ne connaîtra plus d’autres succès semblable à The Twilight Zone. Dans les années 60, il écrira cependant le premier rôle télévisé d’un jeune acteur, Robert Redford, dans le film In the Presence of Mine Ennemies traitant du ghetto de Varsovie et diffusé en 1960, et collaborera également au mythique film La planète des singes, de Franklin J. Schaffner, co-signant avec Mickael Wilson le scénario. Faute de budget, la cité futuriste et ultra-moderne initialement prévue pour servir de décor à Charlton Heston sera remplacée par des décors rocheux et des tournages en paysages naturels.
En janvier 1964, le dernier des 156 épisodes de The Twilight Zone est diffusé. Pour 500.000 dollars, Rod Serling revend ses droits sur la série-culte, aujourd’hui multi-diffusée.
Rod Serling s’éteint le 28 juin 1975 à Rochester, dans l’état de New York, des suites d’une intervention chirurgicale subie deux jours plus tôt.
En portant en bande dessinée la vie et l’oeuvre de Rod Serling, le dessinateur israélo-américain Koren Shadmi, récompensé à de nombreuses reprises pour ses travaux dans le Wall Street Journal ou The New Yorker entre autre, révèle au grand public la genèse d’un feuilleton-télé mythique et de son créateur.
« J’ai été un visiteur tardif de la quatrième dimension. Ayant grandi en Israël dans les années 80, la palette de programmes américains qui franchissaient l’Atlantique jusqu’à nos petits écrans était plutôt restreinte. […] On a eu la chance d’avoir « Star Trek », mais malheureusement, « La Quatrième Dimension » n’est jamais parvenue jusqu’à nous. »
Koren Shadmi.
Koren Shadmi ne découvrira La Quatrième Dimension qu’en 2009 lorsqu’elle fut diffusée sur Netflix Etats-Unis. Il avalera les cinq saisons en seulement quelques semaines et s’attellera immédiatement à illustrer la vie et la carrière de ce génie dans un roman graphique. Mais comme Serling pour Patterns, Koren Shadmi, happé par d’autres priorités, ne ressortira ce projet que quelques années plus tard, en 2016.
Composé de quatre parties étalées sur 176 pages, l’intégralité de l’ouvrage est traité en noir et blanc, renvoyant ainsi à la série originale des années 50. 176 pages passionnantes, et qui se dévorent en quelques heures.
L’homme de « La Quatrième Dimension » : Rod Serling, pionnier de la télévision, de Koren Shadmi, aux éditions la Boite à Bulles. 176 pages. 24,00€.
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