Le titre semble, à priori, tenir du paradoxe, voire de l’oxymore. « Spirou et la Shoah », autant dire l’enfance et la mort, l’innocence et la perversité, la légèreté et les ténèbres.
Et pourtant : lorsqu’on est capable de s’adresser aux enfants, c’est que l’on sait réellement expliquer et s’expliquer. Si l’on n’éprouve plus la peur de choquer ou d’effrayer, c’est que l’on est clairement conscient des enjeux, des valeurs, des nécessités aussi bien de l’Histoire que de la morale ou de la vie.
Savoir parler aux enfants, c’est se montrer réellement adulte. Tel est le but que s’est donné le Mémorial de la Shoah à travers sa toute nouvelle exposition.
Au départ, la parution du roman graphique d’Emile Bravo, Spirou, l’espoir malgré tout, quatre tomes entre juillet 2018 et mai 2022. A la différence du célèbre Maus, dans lequel Art Spiegelman faisait apparaître les camps de la mort sous la forme distanciée d’animaux, Emile Bravo les évoque seulement, à travers la vision et le témoignage du personnage de Spirou.
Cette œuvre, en tous points exceptionnelle, n’est certes pas le fruit d’un hasard. Elle est la conséquence de deux points de départ.
Le premier appartient à l’histoire personnelle et familiale de l’auteur. Emile Bravo est fils d’un républicain espagnol réfugié en France et qui, en tant que tel, a connu le camp d’internement d’Argelès. L’un de ces camps pour lesquels, pendant très longtemps, la France n’a pas voulu qu’on utilise le complément déterminatif « de concentration ». Et pourtant, force est de constater que les camps français étaient proches, dans l’esprit et la forme, de ceux des nazis.
Parmi les documents que consulte Emile Bravo, il découvre l’existence d’un peintre juif allemand, Félix Nussbaum Haus, et en particulier, de sa dernière œuvre connue, Le triomphe de la mort, exécuté à Bruxelles le 18 avril 1944. Dans un paysage lunaire et dévasté, une troupe de squelettes encore mobiles défilent en jouant des instruments de musique, comme une sorte de fanfare funèbre qui célébrerait les noces de l’Apocalypse.
A peine deux mois plus tard, Félix Nussbaum Haus va connaître, en vrai, le triomphe de la mort puisqu’il va mourir à Auschwitz. Et son tableau semble ainsi une préfiguration de sa propre destinée.
En réalité, en se documentant, Emile Bravo apprend que le peintre avait déjà eu une expérience de camp : obligé de quitter la Belgique au moment de l’invasion allemande, il avait été interné à Saint-Cyprien, soit à quelques kilomètres à peine du père d’Emile Bravo. L’Histoire n’est jamais produite par le hasard et Emile Bravo va faire de Félix Nussbaum Haus l’un des personnages de son histoire !
Et puis, second point de départ du travail d’Emile Bravo et de l’exposition : le personnage de Spirou, né le 21 avril 1938 sous le crayon de Rob-Vet. Spirou est l’emblème et la mascotte d’un grand journal pour la jeunesse, le Journal de Spirou, édité par l’imprimeur Jean Dupuis. C’est par la suite seulement qu’il va se voir accompagné par le journaliste Fantasio et l’écureuil Spip et que, sous le crayon successif d’une pléiade de dessinateurs – parmi lesquels, bien sûr, Jijé et Franquin -, il va vivre des aventures aussi nombreuses que farfelues.
Mais voilà que survient le 10 mai 1940 : la Belgique est envahie par l’Allemagne nazie. L’éditeur Jean Dupuis fuit la Belgique et se retrouve au Havre, puis à Londres. Etant donné qu’il serait plutôt favorable à une politique de collaboration avec l’occupant nazi, il la conseille vivement à ses enfants demeurés à Bruxelles. Ces derniers s’y refusent. Il faut dire qu’en plus, le rédacteur en chef de Spirou, c’est Jean Doisy. Jean Doisy, Georges Evrard de son vrai nom, est journaliste, écrivain et scénariste, secrétaire administrateur de la Ligue belge contre le racisme et, très tôt, il entre en résistance.
Lorsque les Allemands veulent imposer un de leurs hommes dans le conseil d’administration, ni lui ni les fils Dupuis ne veulent en entendre parler. Alors le journal est interdit.
C’est alors que Jean Doisy a l’idée d’ouvrir un théâtre de marionnettes, le Farfadet, pour continuer à faire vivre Spirou, Fantasio et Spip au milieu d’autres personnages prétextes pour donner le change aux autorités : des clowns, Saint-Antoine et son cochon, etc… De plus, l’entreprise théâtrale a le grand avantage de financer les activités clandestines de résistance.
C’est le même Jean Doisy qui va organiser le voyage de Victor Martin, auteur du tout premier rapport complet sur la réalité d’Auschwitz.
On peut dire ainsi que Spirou fut un journal résistant. Contrairement à certains autres périodiques qui pratiquèrent la collaboration ou, pire encore, se firent instrument de la propagande hitlérienne, c’est en 1944 seulement que reparut Spirou.
Restait à écrire l’histoire secrète de cette résistance. C’est à cette tâche que s’est attelé Emile Bravo, avec précision et talent : comment le petit groom facétieux, vêtu de rouge et de naïveté, en est venu à prendre conscience d’une des pires tragédies de l’humanité, celle de la Shoah, et tenter de s’y opposer.
Spirou dans la tourmente de la Shoah, une exposition pensée pour les petits mais qui fera du bien également aux plus de dix-huit ans.
Spirou dans la tourmente de la Shoah, jusqu’au 30 août 2023 au Mémorial de la Shoah.
Si vous désirez aller plus loin :
Spirou dans la tourmente de la Shoah, catalogue de l’exposition, aux édition Dupuis. 152 pages. 29.00€.
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Suis exEnfant Cachée. Mon grand-père paternel a