Simone Veil, c’est bien qu’une femme, bien plus qu’une figure politique, bien plus qu’une “Européenne” avant l’heure. Simone Veil, c’est une icône française. Il était donc normal, trois ans après sa panthéonisation, de lui rendre hommage à travers un événement moins… officiel.
Et cet événement, c’est l’exposition Nous vous aimons Madame. Simone Veil, 1927-2017, présentée jusqu’au 21 août 2021 dans la salle Saint-Jean de l’Hôtel de Ville de Paris. Une exposition d’une très grande richesse, émouvante, et rassemblant des centaines de documents rares, de photographies, d’archives audio et vidéo, d’effets personnels…
Composée de neuf thématiques, Nous vous aimons Madame invite le visiteur à découvrir — ou redécouvrir — la vie personnelle et le parcours professionnelle de cette femme hors du commun, qui a marqué de son emprunte plus d’un demi-siècle de l’Histoire de France.
Tout naturellement, l’exposition s’ouvre sur une lumineuse partie consacrée à la jeunesse niçoise de la petite Simone Jacob et de sa famille. Privilégiés — son père André est architecte —, la joie et l’insouciance prendront fin en 1941 suite à la promulgation des lois du régime de Vichy. Si la famille demeure relativement préservée de la menace nazie — Nice est sous occupation italienne, qui refuse aux allemands le transfert de Juifs —, la chute de Benito Mussolini en juillet 1943 va changer la donne. Éduquée sans références religieuses, Simone va comprendre ce que signifie « être Juif ». La lumière qui vient d’accueillir les visiteurs se transforme en obscurité…
En proie aux rafles ordonnées par Aloïs Brunner, Nice devient un piège. La famille Jacob se sépare pour éviter une arrestation en masse, et tente de survivre grâce à de faux papiers, plutôt grossiers.
En mars 1944, le lendemain du bac, Simone est arrêtée dans la rue par la Gestapo avec l’un de ses camarades. Non-juif, le jeune homme est relâché, et se précipite chez les Jacob pour les prévenir. Suivi par des hommes de la Gestapo, il ignore qu’il les conduit tout droit vers le reste de la famille…
La mère, la sœur et l’un des frères de Simone sont arrêtés. Son père le sera peu de temps après. Tous seront déportés dans les camps de concentration de l’Est — Auschwitz, Bergen-Belsen… —, seules Simone et sa sœur Milou reviendront. Simone s’en sentira coupable toute sa vie.
En avril 1945, lorsqu’Auschwitz est libéré, la jeune femme reprend le chemin de la France, sans famille ni ressources. Rare moment de joie, elle apprend peu de temps après qu’elle a décroché le baccalauréat, et décide de suivre des études de droit… avec succès ! En 1956, elle est admise à l’examen de la magistrature. Son expérience de la déportation la conduira tout naturellement vers l’univers carcéral, où elle va travailler à l’amélioration des conditions de détention des détenus. Un milieu exclusivement masulin dans lequel elle dénote…
« On n’a pas le droit de nier sa dignité à l’être humain, même s’il est prisonnier. Quand on a eu soi-même à supporter cette situation, on ne tolère pas qu’on l’inflige aux autres.«
Simone Veil.
Ce ne sera pourtant pas à l’Intérieur que Jacques Chirac, alors Premier ministre, lui demande d’entrer au Gouvernement, mais à la Santé. En 1974, Simone Veil devient la première femme ministre de la Vème République, avec la charge de faire voter une loi controversée, promesse du Président Giscard d’Estaing : la dépénlasiation de l’avortement. Il s’agira de l’un des moments les plus forts — et symboliques — de sa vie et de de sa carrière.
« Personne n’a jamais contesté, et le ministre de la Santé encore moins que quiconque, que l’avortement soit un échec quand il n’est pas un drame. Mais nous ne pouvons pas fermer les yeux sur les 300.000 avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui baffouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours.«
Simone Veil à l’Assemblée Nationale, 26 novembre 1974.
N’oublions pas de préciser que si ce discours est devenu si emblématique, c’est aussi parce qu’à l’époque l’ORTF était en grève, et avait choisie, pour “combler ses programmes”, de diffuser l’intervention de Simone Veil à la télévision, la faisant ainsi entrer dans tous les foyers du pays.
Mais si le grand public a essentiellement retenu cet épisode, Simone Veil a également, au cours de son passage à la Santé, généralisé la sécurité sociale, amélioré l’aide aux personnes âgées, mené une des premières campagnes anti-tabac —bien que fumeuse elle-même —, augmenté le nombre de lits dans les hôpitaux…
Européenne convaincue, elle est élue en juillet 1979 — avec le soutien du chancelier allemand Helmut Schmidt — Présidente du Parlement Européen. De nouveau, elle sera la première femme à occuper ce poste. Une fin de décennie qui marque également l’avènement de la télévision, un mode de communication qui lui permettra de se livrer sur sa vie, notamment sa déportation. Un devoir de témoignage et de transmission qui ne la quittera dès lors plus.
En 2008, un an après la sortie de sa biographie Ma vie, Simone Veil est élue à l’Académie Française, où elle est accueillie par le discours historique de Jean d’Ormesson, dont les mots « Nous vous aimons, Madame » résonnent aujourd’hui de manière particulière.
On ne manquera pas d’admirer les deux derniers symboles forts de cette exposition : l’habit ainsi que l’épée d’Académicienne de Simone Veil. Fidèle à Chanel, c’est Karl Lagerfeld qui dessinera pour elle la tenue noire et or ; quant à l’épée, on y retrouve entre autre les devises de la France et de l’Europe, deux mains enlacées symbolisant la réconciliation des peuples, ou encore son matricule à Auschwitz ainsi que des flammes rappelant les fours crématoires.
Nous vous aimons, Madame. Simone Veil, 1927-2017, jusqu’au 21 août 2021 à l’Hôtel de Ville de Paris.
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