Été 1939, début du plus grand sauvetage d’oeuvres d’art de l’Histoire

Le 1er septembre 1939, suite à l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie, éclate la Seconde Guerre mondiale. Un conflit qui allait plonger l’Europe dans la page la plus sombre de son histoire. Une semaine plus tôt, le Musée du Louvre avait fermé ses portes au public.

Depuis le mois de mars 1939, à l’initiative de Jacques Jaujard, directeur du musée du Louvre, les musées nationaux — et certains collectionneurs et marchands Juifs — réfléchissaient déjà à un plan d’évacuation afin de mettre à l’abri les trésors des collections nationales et privées. Et en prévision des inévitables bombardements à venir, il fallait bien sûr trouver des refuges loin des grandes villes, cibles privilégiées.

Onze sites potentiels vont être rapidement retenus, principalement situés dans le nord-est de la France : Brissac, Chambord, Cheverny, Courtalain, Poirier-Montbel, Fougères-sur-Bièvre, Chèreperrine, Aillières, Louvigny, l’abbaye Notre-Dame de la Pelice, et enfin le château de Valençay, pressentie depuis 1936 et réquisitionné le 22 mars 1939. Cinq mois avant le début du conflit.

Au même titre que les autres sites retenus pour servir de “dépôt” à ces milliers d’oeuvres d’art, le château de Valençay, en plus d’offrir une situation géographique idéale excentrée des enjeux stratégiques majeurs, dispose de pièces et de dépendances aussi vastes que nombreuses, permettant d’accueillir à la fois les oeuvres, mais aussi le personnel dédié à leur conservation et à leur protection. Rose Valland en fera partie, mais aussi Carle Dreyfus jusqu’à sa révocation par le régime de Vichy en raison de ses origines juives. Il entrera en Résistance et rejoindra le réseau du Musée de l’Homme ; Gérald van der Kemp, ancien directeur du Louvre nommé par Jacques Jaujard, prendra sa suite.

Gérald van der Kemp sera par ailleurs l’un des instigateurs du Comité international pour la sauvegarde des trésors artistiques, fondé en 1936 au lendemain de la guerre d’Espagne.

Le 25 août 1939, suite au discours d’Edouard Daladier, le musée du Louvre ferme donc ses portes au public. Trois jours plus tard, le premier convoi quitte Paris pour le château de Chambord, avec à son bord des centaines d’œuvres parmi les plus importantes, dont… la Joconde. Trente-six convois suivront dans les semaines suivantes, chargés de trésors tous plus inestimables les uns que les autres.

La Victoire de Samothrace encordée, Musée du Louvre, 1939.

1.084 caisses arriveront à Valençay, où seront conservées des œuvres du Musée du Louvre bien sûr, mais également de Fontainebleau, de la Malmaison, du Musée d’Art Moderne de Paris, du musée Guimet, du musée Camondo : la Vénus de Milo et la Victoire de Samothrace, toutes deux arrivées début octobre 1939, mais aussi le Code d’Hammurabi — initialement destiné à Cheverny, mais en raison de sa taille il ne passait pas par les portes —, L’esclave rebelle et L’esclave mourant, de Michel Ange, le Cardinal de Richelieu du Bernin, les joyaux de la Couronne de France dont le rubis Côte de Bretagne, le Régent, la couronne de Louis XV, des céramiques, des bronzes et de l’orfèvrerie, mais aussi des toiles de Toulouse-Lautrec, de Braque ou de Bonnard, les collections d’arts graphiques d’Edmond de Rothschild, les collection David-Weill, Georges Salles ou encore de la princesse Radziwill… La Joconde sera cachée au château de Montal, Sourches recevra quant à lui les grands formats. Autant de trésors qui ne manquent pas d’attirer les convoitises des Allemands.

Jusqu’en mai 1945, date à laquelle un rapatriement vers Paris sera envisagé, le château de Valençay fut donc le refuge silencieux d’une partie des plus grands trésors de l’histoire de l’art. Et il est important — si ce n’est essentiel — de noter que, malgré l’état d’urgence absolu dans lequel ces sauvetages sans précédent ont eu lieu, aucune des œuvres conservées ici ne fut ni « égarée », ni abîmée. Ce qui ne fut malheureusement pas le cas du château, qui manquera d’être incendié…

« Tous les hommes trouvés dans les cours avaient été rassemblés sur la pelouse de droite, près de la grille du jardin français. Tous furent contraints de s’allonger par terre. Seuls Monsieur Van der Kemp, le duc de Valençay et Monsieur Moser, le vacher du château qui servait d’interprète, furent autorisés à rester debout pour parler avec les officiers allemands responsables de l’opération de ratissage. C’est à ce moment que Monsieur Van der Kemp, appuyé par le duc de Valençay, parvient à faire jouer la corde sensible, en insistant sur la honte et l’opprobre qui couvriraient l’Allemagne si la tentation de brûler le château et ses dépendances étaient mises à exécution. Double jeu subtil de la part du chef de dépôt, le duc avançant pour sa part sa principauté de Sagan.« 

Lettre d’André Beau à Michel Rayssac.

Le 7 mars 1946, le rapatriement des œuvres du dépôt de Valençay était terminé. 

De main de maître, c’est le scénographe Florient Azoulay qui signe une mise en scène dont la sobriété est lourde de sens. Commodes emballées, colonnes démunies de leur statuaire, cadres vides renvoyant à ceux qui jonchaient les sols des galeries du Louvre à l’époque, élégantes Vénus ou Diane de marbre prisonnières de caisses de bois brut semblables à celles dans lesquelles ces œuvres furent transportées… Une rythmique du vide un peu angoissante qui renvoie bien sûr au vide des musées à l’époque, mais qui pourrait tout aussi bien évoquer le paysage culturel français de ces derniers mois.

« Les tableaux, les sculptures et les objets d’art ont quitté la capitale, le Louvre devient un musée du vide. Les cadres béants, les socles solitaires, restent les seuls vestiges de ce qui fut le plus grand musée de France.« 

Musée du Louvre. Histoire du Louvre, fonds Aulanier.

Enfin, après les vitrines présentant lettres, archives, photographies ou coupures de presse, la visite s’achève par l’ancien cabinet de lecture dans lequel est disposée une profusion d’objets ; on ne manquera pas de remarquer un modèle réduit de la Vénus de Milo enserrée dans son coffre de bois. Il s’agit-là de la seule œuvre provenant d’un prêt exceptionnel, et qui aurait servi d’essai à la fin des années 30, lorsque l’on réfléchissait à la manière la plus sûre de déplacer toutes ces œuvres d’art.

Une exposition historique passionnante, qui plus est présentée dans un site exceptionnel, le château des princes de Talleyrand, à un peu plus de deux heures de Paris. Une double raison pour se rendre en Val-de-Loire dès la levée des restrictions.

Du Louvre à Valençay, 1939-1946, actuellement au Château de Valençay.

Si vous désirez aller plus loin :

Le Louvre pendant la guerre. Regards photographiques 1938-1947, de Guillaume Fonkenell, aux éditions du passage. 166 pages. 11,90€.
Le marché de l’art sous l’Occupation, d’Emmanuelle Polack aux éditions Tallandier. 336 pages. 21,50€.
Le catalogue Goering, de Jean-Marc Dreyfus, aux éditions Flammarion. 608 pages. 29,00€.
Les notaires sous l’Occupation : Acteurs de la spoliation des Juifs, de Vincent le Coq et Anne-Sophie Poiroux, aux éditions du Nouveau Monde. 493 pages. 24,00€.
Un vol organisé : L’Etat français et la spoliation des biens Juifs, de Martin Jungius, aux éditions Tallandier. 525 pages. 24,90€.
Images d’un pillage : Album de la spoliation des Juifs à Paris, de Sarah Gensburger, aux éditions Textuel. 160 pages. 39,60€.
Valençay, le château Renaissance de Talleyrand, d’Anne Gérardot et Benjamin Chelly, aux éditions Albin Michel. 240 pages. 29,90€.

Et pour la jeunesse :

Rose Valland, capitaine Beaux-Arts, de Claire Bouilhac, Polack et Catel, aux éditions Dupuis. 48 pages. 12,50€.

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