« Ravensbrück 1943 », ou de l’impossibilité à résister…

Klara, la Cheffe Oberaufseherin, interprétée par Inga Koller, s’avance, froide et crue, vers l’avant de la scène, les yeux brillant de la fièvre des passions. Derrière elle, sanglée de désespoir, humble et brisée, se tient Esther, la déportée campée par Maï David, à qui, d’abord, Klara va ordonner de se redresser.

Puis, peu à peu, au fur et à mesure de la pièce, elle n’ordonnera plus mais aidera la déportée à se redresser, à vouloir vivre, à vouloir parler, à vouloir espérer.

Car cette pièce est l’histoire d’une relation impensable, folle, désespérée, entre la geôlière et la détenue, entre celle qui décide et celle qui obéit, entre celle qui veut la gloire de son pays et celle qui veut seulement survivre un peu plus longtemps. Ravensbrück 1943 est l’histoire d’une relation trouble et troublante, faite de confidences échangées à mi-voix, d’amitié imperceptible et audacieuse, de quelque chose qui ressemble de bien près à de l’amour, si l’amour ne pouvait jamais ni se dire, ni se prouver. Faite aussi, cette relation, des retours en arrière brusques qu’exige l’idéologie, dans les temps de misère où l’être humain ne peut l’ignorer ou s’en passer.

La relation de la Cheffe et du matricule 48604 ne saurait être paisible, mais elle est, de plus, sans cesse interrompue par l’irruption de Hans, l’officier nazi, joué par Grégory Antoine, qui considère quant à lui qu’il n’a affaire qu’à deux inférieures, l’une parce que juive, l’autre parce que femme, et qui tient, de ce fait, à imposer sa loi de mâle et de nazi.

L’espace est rétréci par deux longs murs verts de gris qui filent vers le fond, comme un entonnoir vers la mort – figurée -, cette mort promise, inévitable, par le portrait géant de Heinrich Himmler, le « metteur en scène » de la Shoah. Le seul arbre qui dépasse à peine des murs est squelettique et sans feuille : rien ne subsiste au-delà de ces murs dans lesquels Klara va tenter de maintenir en vie Esther, la déportée joueuse de clarinette.

Cette pièce dit la terrible aporie du doute, ce que soulignait autrefois Roland Barthes :

« Le fascisme, ce n’est pas interdire aux gens de penser, c’est les obliger à penser ».

On ne peut douter, jamais, et surtout pas de la parole véhiculée par les maîtres. Ainsi, ces deux femmes que rien ne rapprochait, si ce n’est justement leur statut de femmes, ne sauront échapper à l’angoissante surveillance de l’Etat.

Quelque chose est souligné, à méditer sans doute pour nous, sur l’impossibilité de la résistance, même passive, dans ces temps où, comme le dit un personnage de la pièce, « D.ieu a dû s’absenter… »

Ravensbrück 1943, actuellement au théâtre des Déchargeurs.

Si vous désirez aller plus loin :

Ravensbrück, de Germaine Tillon, aux éditions Points. 544 pages. 11,80€.
Si c’est une femme. Vie et mort à Ravensbrück, de Sarah Helm, aux éditions Calmann-Lévy. 912 pages. 27,50€.

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