Les 29 et 30 septembre 1941, le Sonderkommando 4A de l’Einsatzgruppen C, avec l’aide de deux bataillons du Régiment de Police Sud et de la Police auxiliaire ukrainienne, a tué par balles, sans la moindre résistance ou réaction de la part de la population locale, 33.771 Juifs dans le ravin de Babi Yar, situé au nord-ouest de Kiev.
Sergei Loznitsa, qui a passé toute son enfance à Kiev, retrace cette tragédie dans son documentaire Babi Yar. Contexte, qui sort le mercredi 14 septembre. Ce document puissant a été produit pour le Baby Yar Holocaust Memorial Center, organisation non gouvernementale fondée en 2016. Située à Kiev, elle documente et commémore le massacre de Babi Yar, mais travaille également à développer et soutenir la Mémoire de l’Holocauste en Europe de l’Est.
C’est au festival de Cannes 2021 que ce documentaire terrifiant par ses images d’archives non encore visionnées a été présenté la première fois ; Babi Yar. Contexte est l’œuvre aboutie de neuf années de travail et de recherches du cinéaste ukrainien Sergueï Loznitsa. Neuf années d’acharnement pour rassembler des documents issus à la fois d’archives publiques et de collections privées.
Le film tente de plonger le spectateur dans l’environnement qui a rendu le massacre possible et de montrer comment Babi Yar, en tant que tragédie juive, a été pratiquement rayé de l’Histoire. Car très vite les SS tentèrent d’effacer les traces de leur forfait, puis des années plus tard, ce sont les soviétiques qui bâillonnèrent la mémoire locale en comblant le lieu de déchets industriels. Un projet immobilier devait naitre dessus. Il ne fallait pas que le monde sache…
C’est à 33.771 victimes innocentes assassinées par des monstres qu’il rend hommage, pour que l’oubli soit anéanti, effacé et la mémoire vivifiée.
Babi Yar. Contexte a reçu le prix Spécial du jury de l’Oeil d’or au Festival de Cannes 2021 dans la catégorie documentaire. Quant à Sergei Loznitsa, c’est le Prix France Culture Cinéma Consécration qui lui a été décerné, durant le même Festival.
Ce cinéaste remarquable dont les films, documentaires ou fiction, ont toujours été percutants de vérité et qui n’hésite pas à chercher obstinément des images d’archives ou des témoignages encore inconnus et non exploités, prend des risques pour qu’enfin le monde sache. Il fait taire un silence organisé trop longtemps contenu. Pour cela, il brave les archives soviétiques, il cherche, il fouine, il dérange parfois… Depuis plus de vingt ans, inlassablement, il a construit un projet cinématographique décrivant les comportements humains, tentant d’expliquer comment on en arrive à tuer des milliers, des millions de personnes. Il étudie la déshumanisation, la manière dont un individu perd son humanité.
C’est une œuvre difficile mais tellement utile, plus qu’un cours magistral d’histoire.
En ce moment, Sergeï Loznitsa délaisse le cinéma pour le théâtre. En effet, on lui a fait une demande singulière — mais pas mineure : une collaboration avec l’auteur Jonathan Littell sur son roman Les bienveillantes. Pari difficile, pari impossible, mais cet homme dit avoir trouvé le moyen de porter à la scène cette immense œuvre littéraire. On attend avec impatience cette prouesse de mise en scène pour un sujet encore dérangeant et perturbant.
Pour l’instant, pour que les mots Never Again. Plus jamais cela ne soient pas qu’un slogan, il faut courir voir ce documentaire stupéfiant, terrifiant, terrassant… mais essentiel !
Babi Yar. Contexte, de Sergeï Loznitsa. En salle le 14 septembre 2022.
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