« Bérénice 34-44 » : la Comédie Française et ses Juifs sous l’Occupation

Bérénice 34-44, c’est l’histoire d’une vie, d’une passion et d’un destin tragique, victimes de la folie humaine qui a plongé l’Europe et l’Humanité toute entière dans une folie meurtrière sans précédent.

Paris, 1934. Bérénice Kapelouchnik, 15 ans, vient d’être admise au Conservatoire de Paris, après une audition fructueuse devant la grande Véra Korène, au cours de laquelle elle termine première, parmi deux cents candidates. Mais lorsque la jeune fille annonce la merveilleuse nouvelle à son père, Moïse, qui assimile actrices et comédiennes à de vulgaires cocottes, il entre dans une colère noire et menace de la renier si elle poursuit dans cette voie. D’ailleurs, aucune comédienne n’est juive. Ce n’est pas un métier pour les juifs.

Qu’à cela ne tienne ! Amoureuse du théâtre depuis l’âge de 8 ans, il est hors de question de renoncer. Avec le concours de Madame de Lignières, riche et excentrique aristocrate qui va l’héberger, subvenir à ses besoins, et même lui offrir son nom, Bérénice Kapelouchnik, désormais Bérénice de Lignière, fait ses premiers pas sur les planches, dans la classe de Louis Jouvet.

Sur les scènes de théâtres ou de cabarets parisiens, elle fera la connaissance de toute l’intelligentsia artistique et culturelle parisienne, ainsi que deux hommes qui compteront particulièrement pour elle, Nathan Adelmann, célèbre compositeur juif allemand en exil qui deviendra son mari, et Alain Béron, son librettiste.

En 1937, Bérénice de Lignière intègre la prestigieuse Comédie Française, où Hernanie lui offre son premier rôle. Rien ne semble pouvoir arrêter son ascension et sa folle passion pour son métier. Pas même les rumeurs de guerre qui se profilent à l’Est, ou les premières diatribes antisémites dans la presse française.

Mais avec l’arrivée des allemands à Paris en 1940, tout change. Nathan Adelmann quitte la France pour l’Espagne, d’où il espère rejoindre les Etats-Unis, les mesure raciales sont mises en place en zone occupée, mettant au ban une partie de la société, et en juin 1940, le port de l’étoile jaune est décrété, et la Comédie Française est fermée. Sa direction es sommée de de purger l’établissement de ses Juifs, à défaut de quoi la « maison de Molière » ne pourra rouvrir ses portes.

Cachée derrière un nom et un prénom on ne peut plus français, Bérénice de Lignière, reniant sa judéité pour pouvoir continuer à jouer, sera cependant dénoncée. Son passé ressurgit soudain, donnant tout son sens à une phrase répétée mille fois par son père : “être Juif, ça se porte”.

Le lendemain, l’accès à la Comédie Française lui est refusé. Elle se réfugie alors chez Alain Béron et, à l’instar de milliers d’autres artistes jusque-là uniquement voués à leur art, Bérénice va être contrainte d’éveiller sa conscience à la politique.

Elle refuse de rejoindre Nathan Adelmann en Espagne, et entre en Résistance dans l’Armée Juive. Mais au cours d’un rendez-vous au café Montparnasse, elle est démasquée, et arrêtée par la police française.

Conduite à Drancy en janvier 44, Bérénice de Lignière sera déportée à Auschwitz par le convoi 66.

C’est donc dans un cave voûtée du théâtre de Nesle, dans le 6ème arrondissement, que les spectateurs sont invités à découvrir la vie de Bérénice de Lignière, mais au-delà, une histoire de la prestigieuse institution de la Place Colette, vue côté cour et côté jardin, sous la période de l’Occupation.

Si les personnages principaux que sont Bérénice de Lignière, Nathan Adelamnn et Alain Béron sont fictifs, tous les événements historiques relatés dans Bérénice 34-44 sont quant à eux bien réels. Dix années au cours desquelles on croise Louis Jouvet, Véra Korène, Pierre Dux, Robert Manuel, Jean-Louis Barrault, Madeleine Renaud, ou encore Jacques Copeau, administrateur de la Comédie Française lors de l’exclusion de ses acteurs Juifs.

Véritable déclaration d’amour au théâtre et à la liberté, Bérénice 34-44 est adapté du roman éponyme d’Isabelle Stibbe, Prix Simone Veil et Prix des Grandes Écoles 2013 entre autre.

Sur scène, campant une dizaine de personnages différents et jonglant avec une aisance déconcertante de l’un à l’autre, la comédienne Violette Erhart soulève, transporte le public. Repoussant par sa simple présence les murs d’une scène trop étroite, débordante d’énergie et de passion pour Bérénice, elle livre une prestation scénique grave et bouleversante, comme rarement vue auparavant.

Un spectacle fort et émouvant, présenté seulement pour quatre dates.

Bérénice 34-44, actuellement au théâtre de Nesle.

Si vous désirez aller plus loin : 

Bérénice 34-44, d’Isabelle Stibbe, aux éditions Livre de Poche. 360 pages. 7,10€.
La Comédie Française, de Patrick Devaux, aux éditions du Patrimoine. 64 pages. 7,00€.
La Comédie Française : le théâtre de la rue de Richelieu de 1799 à nos jours, de Jacqueline Razgonnikoff et Muriel Mayette, aux éditions ArtLys. 239 pages. 16,00€.
Dans les coulisses de la Comédie Française, de Laetitia Cenac et Damien Roudeau, aux éditions La Martinière. 240 pages. 29,00€.

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