« L’homme du café Krantzler », de Michel Goujon

Il a bien triste mine, cet « homme du café Krantzler » tel qu’il apparaît à Andréas. C’est un vagabond pouilleux, chassé par tous, méprisé, rejeté et qu’on va précisément chasser du café  Krantzler, un des grands cafés de Berlin.

Et cet homme, c’est dans un cauchemar qu’il apparaît à Andréas ; et cet homme, c’est lui-même, Andréas, en fait !

Nous sommes en février 1936, dans une Allemagne dirigée depuis maintenant trois ans par les nazis. Andréas Kuppler est un Allemand ordinaire, dans une situation ordinaire : un de ces milliers d’allemands qui ne comprenaient pas tout et ne pressentaient pas le pire. Andreas a conscience des horreurs qui se trament autour de lui, chaque jour, mais il n’en est pas responsable ; il n’est ni militaire, ni nazi, ni responsable politique. Certes, par moments, il aurait tendance à admirer la façon dont le pays, son pays, se relève peu à peu depuis trois ans, depuis l’avènement d’Hitler, mais « Il ne cautionnait pas toutes les dispositions qui instauraient un climat malsain. »

Et pourtant, en deux jours, les 17 et 18 février 1936, brutalement sa vie toute entière va plonger dans l’horreur. Ces deux jours précis sont ceux de la bascule, mais en réalité cette bascule n’est que la conséquence d’une situation qui perdure depuis longtemps. On ne tombe pas malade du jour au lendemain : le corps, auparavant, dans les méandres secrets de ses viscères, œuvrait au virus.

Et voilà très exactement, dans ce roman haletant, ce que Michel Goujon s’applique à nous montrer : le nazisme n’est pas une situation parmi d’autres. Il ne s’agit pas d’un choix possible dans les différentes façons de gouverner, d’une option idéologique avec ses avantages et ses inconvénients. Le nazisme, fondamentalement, est une maladie, un cancer qui ronge la société et les cerveaux. La seule solution est de s’y opposer, de le combattre et de l’éradiquer.

Andréas est journaliste sportif dans un grand organe de presse. Il est marié à Magdalena, jeune femme énergique avec laquelle il a connu de véritables moments de bonheur. Mais Andréas n’est pas un journaliste suffisamment fourbe et proche du pouvoir ; ses articles, s’ils sont remarqués et signalés, n’insistent pas suffisamment sur la prétendue supériorité des athlètes allemands ; il écoute du jazz et se montre fréquemment impertinent. Magdalena quant à elle, dont le père Joseph Bock est un fervent défenseur du national-socialisme, a cessé de travailler pour pouvoir s’occuper de sa famille, ainsi qu’on le prêche aux épouses du Reich.

Andréas et Magdalena n’ont pas encore d’enfant, étrangement, au point que cette infertilité finit par poser problème, par paraître suspecte à tous les proches, par la mener à la dépression…

La situation d’Andreas, de fait, est une impasse : « En Allemagne, tout le monde ou presque est national-socialiste » se dit-il à lui-même. Difficile de passer à côté, de faire semblant, de ne pas s’engager. Le voyage entrepris par l’Allemagne de 1936 est un « voyage d’hiver » tel celui que mit en musique Schubert sur un poème de Heinrich Heine et qui est évoqué tout le long du roman. Schubert est méprisé par les nazis, uniquement parce que Heine était juif, et pourtant : comme ils traduisent bien, cette basse et ce piano morbide, le voyage atroce auquel furent conviés les Allemands durant ces années sombres !

« Depuis trois ans maintenant, Andréas luttait contre une effroyable maladie : le nazisme. Des bactéries très agressives avaient attaqué son cerveau. Elles s’y étaient enkystées, altérant ses facultés de jugement et sa volonté. » Et Michel Goujon nous fait assister au combat désespéré de cet homme contre les métastases du nazisme, face auxquelles les solutions ne peuvent être que définitives et entières.

Michel Goujon n’explique pas, il raconte ; il n’argumente pas, il montre ; il est le conteur des temps difficiles, sans doute pour nous aider à éviter que ceux-ci ne se reproduisent un jour.

L’homme du café Krantzler, de Michel Goujon, aux édition City. 304 pages. 18,90€.

Incoming search terms:

  • https://cultures-j com/homme-du-cafe-kranzler-michel-goujon/

Partagez vos impressions

Cet article vous intéresse ? Laissez un commentaire.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.