« Hôtel Europe », de Bernard-Henri Levy, au théâtre de l’Atelier

C’est l’événement théâtral de cette rentrée ! Cette pièce fera parler d’elle tant par la prestation et le jeu de Jacques Weber que par le texte si poignant, si fort et si personnel de Bernard-Henri Levy.

hotel europe jacques weber bernard henri levy theatre atelierD’ores et déjà plusieurs personnalités du monde politique et littéraires sont venus applaudir cette pièce, dont les deux derniers candidats à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy et François Hollande (l’un accompagné de sa femme,  l’autre de sa conseillère à la culture, Audrey Azoulay).

L’action d’Hôtel Europe se déroule le 27 juin 2014, à Sarajevo, en pleine cérémonie de commémoration du déclenchement de la guerre de 1914, dans un hôtel, l’hôtel Europe ! Coïncidence ? Non, juste une merveille de coïncidence ! C’est le nom de l’hôtel où Bernard-Henri Levy séjourna avec son ami de toujours, Gilles Hertzog, en 1992 dans Sarajevo assiégée. Et dans cette chambre, il ne sera question que de l’Europe. Celle d’avant, celle d’aujourd’hui et celle de demain.

Créée en avant-première dans cette ville si adulée par l’auteur qui lui rend un hommage vibrant, la pièce démarre dans une chambre où un écrivain est doté d’une bouteille d’eau pour compagne, et de deux éléments prépondérants, voire essentiels : un ordinateur et un téléphone portable qui seront son lien avec l’extérieur. Il doit rédiger le texte de sa conférence sur l’attentat de Sarajevo qui déclencha la Première Guerre Mondiale. Dès les premiers mots, on sent que l’écrivain est ailleurs, tourmenté. Ce discours il ne le fera pas. Il n’apprécie pas cette commémoration, mais alors pas du tout !

Tout ce qu’il voit l’exaspère ! Le monde extérieur lui vient par le bruit qu’il entend de sa fenêtre et qui l’insupporte  Mais il est déjà las de tout, il rame, il ne peut plus écrire, il est épuisé, son téléphone ne cesse de sonner et le tourmente pour des pacotilles du quotidien. Il en a après tout le monde, mais surtout après Poutine et les banques.

Grace à son ami Google qui archive tout, même les coucheries de nos dirigeants – l’ambassadrice américaine Pamela Harriman, qui ne ratait jamais ses proies, est en première ligne, et on voit défiler les images provenant de l’ordinateur projetées sur l’écran géant qui fait face au public -,  le personnage a les informations dont il a besoin quand sa mémoire lui joue des tours. Cet ordinateur est essentiel surtout quand on a oublié. Mais il n’aurait pas du être l’essentiel de la mise en scène.

Il se parle à lui-même. Il devient fou de cette question : « faut-il célébrer ce centenaire ? » Il esquisse des phrases poignantes. Si son amour pour Sarajevo est éternel, l’impuissance des pays européens, elle, est imparable ! Il dit que la fraternité sauvera le monde ! Il confirme que l’Europe des Lumières a disparu.  Et ces propos sont mis tout au long de la pièce en relief par le comédien qui passe par tous les visages, à la fois bouffon et lyrique, simple et grandiose, sensible et grotesque. Il finit par se noyer dans l’alcool pour retrouver ses bons souvenirs, Venise, l’autre capitale si chérie, ses amours perdues.

Ce monologue nous livre le cri d’alarme de BHL pour l’Europe : il faut se battre pour des idées,  pour un monde libre. Sarajevo est au cœur de l’Europe. »Qui aurait pensé qu’on puisse un jour célébrer l’anniversaire d’un début de guerre ? Ce sont les fins qui sont mises à l’honneur. » clame le personnage dès le début. Le comédien y met toute son énergie,  les mots, ces torrents de mots, cognent à sa bouche. Parfois on ne les comprend pas tous, tant il y a trop d’idées diffuses. Weber hurle ce texte, le rugit.

Aller voir cette pièce sans avoir un minimum de bagage culturel, voire politique, peut perturber. On risque de ne pas tout  comprendre. Est-ce une pièce réservée à l’intelligentsia parisienne ?

Les références aux grecques, à l’Europe, à Benny Levy, au Talmud,  aux banques qui ont soi-disant voulu redresser la Grèce, aux banques malades de leur système, à une Union Européenne toujours plus bureaucratique, formée «de petits hommes gris» qui défendent plus poissons en voie de disparition que déshérités et abandonnent à leur sort les chrétiens d’Irak, les insurgés syriens, les enfants du Darfour… Toutes ces références sont martelées pendant près de deux heures. Des vociférations contre les crimes commis hier et aujourd’hui.

Contre Heidegger, il cite Husserl, qui appelait à «une Europe de la raison contre l’Europe des instincts ». Puis il vient nous surprendre par quelques instants d’émotion, d’amour, de rêveries du temps passé, des amoures anciennes viennent souligner avec délicatesse la sensibilité du héros.

Il est rare de voir une pièce écrite par un philosophe encore vivant et qui, de surcroît, est présent à l’accueil pour saluer les spectateurs, ou pour soutenir dans la salle son comédien.

Bernard Henri Levy, penseur à explosions, nous livre à cœur ouvert son désespoir, son mal-être dans ce monde qui a oublié sa culture, ses origines. Les maîtres-penseurs sont devenus des maitres-casseurs ! Il nous offre une pièce politique où Jacques Weber se laisse happer par des mots durs, des mots aiguisés, des mots percutants, les mots d’un homme qui devient fou, d’un BHL qui met dans cette œuvre son cri d’alarme, nous rappelant combien ce monde est insipide, y développant tous les maux de la société et ses travers.

Ceux qui nous gouvernent n’ont aucun scrupule. Poutine est un dictateur et l’Europe est à sa botte ! Où sont nos philosophes d’antan ? « Rendez-nous des visages »  scande Weber à la fin.

Il est vrai que du fait qu’il n’y ait plus de personnes illustres à aimer, à admirer, on finit par aimer des tricheurs, des moins que rien aux idées xénophobes, voire racistes. Oh que Oui !  Qu’une Mère Térésa au Ministère des Finances nous aurait fait du bien autant au cœur qu’au porte-monnaie.

Depuis son apparition dans l’émission de Bernard Pivot Apostrophes en mai 1977, BHL fait beaucoup parler de lui, parce qu’il séduit, il captive, il épate, il révolte, il effraie par son savoir et sa culture démentielle, son égocentrisme. Il fait réagir, et cela fait de lui un homme de lettres et de terrain.

Il s’investit, il en fait un peu trop mais peut-on changer une âme ? Il a eu ses mauvais quarts d’heures, ses faiblesses, mais on lui doit de belles pages littéraires et de sacrés coups de gueule.

Son passage à Bouillon de Culture en mai 2001, pour la sortie de son livre Un siècle de Sartre, reste dans les annales télévisuelles. Je ne connais aucun autre homme, aucun autre écrivain en France qui a pu par son intelligence, son aura, son charisme faire reculer une émission. Vue l’ampleur de son charme, la richesse des choses qu’il racontait, l’enthousiasme des propos de sa culture de Sartre, le foisonnement des choses dites si intelligemment, Bernard Pivot demanda à sa direction de faire déborder l’émission d’un bon petit quart d’heure afin de prodiguer aux spectateurs une émotion culturelle sans pareille. Oui, la télévision publique lui a accordé quinze minutes de plus d’antenne pour plaire aux spectateurs ! Qui ferait cela en 2014 ?  Aujourd’hui, les émissions sont enregistrées. On ne laisse plus la parole aux philosophes. On n’écoute plus !

L’intervieweur veut aussi être un politicien ou un philosophe. Tout le monde veut avoir son idée sur tout. Alors qu’écouter afin d’apprendre ne ferait de mal à personne. Si tout le monde écoutait les discours sur Auschwitz, si tout le monde écoutait les rescapés des camps, les massacres et les génocides n’existeraient plus ! On les laisse parler mais on ne les écoute pas !

Là, BHL prend la parole et nous offre une diatribe enflammée qui nous laisse pantois, stupéfaits. Il nous invite à réfléchir à ce que nous voulons pour notre avenir, à ce à quoi nous croyons : à une Europe des cultures ou à une Europe foutue à la solde de la Russie ?

Oui à une Europe rayonnante avec à la tête des gens honnêtes et fiables !

Oui à une Europe forte avec une jeunesse qui s’émerveille de son continent, où les français parleraient aussi bien l’allemand que l’espagnol, les espagnols parlant l’italien et le français.

NON à une Europe rampante.

NON à une Europe qui n’existe plus car ayant perdu son âme.

Faut-il regarder l’Europe par le trou de la serrure ? Faut-il passer tous nos dirigeants par la case du divan de Freud pour savoir ce qui se cache sous ces horreurs qu’ils laissent faire ? Il semblerait que oui !

Pendant quelques semaines, le théâtre de l’Atelier sera le théâtre de ces combats.

Bernard-Henri Levy est une pointure avec qui peu de personnes peuvent rivaliser. Longtemps admiré, le rencontrer à l’accueil et lui serrer la main m’a totalement séduite, mais pas autant que son phrasé et son immense talent ! BHL restera notre écrivain français aux phrases flamboyantes comme le rouge de nos colères. Mais une mise en scène plus conséquente aurait donné plus de corps à la pièce qui ne se cantonnerait pas à n’être qu’un discours de mots.

Myriam HALIMI pour Cultures-J.com.

Hôtel Europe, actuellement au théâtre de l’Atelier. Renseignements sur le site du théâtre de l’Atelier.

Si vous désirez aller plus loin :

Hôtel Europe, suivi de Réflexions sur un nouvel âge sombre, de Bernard-Henri Lévy, aux éditions Gallimard. 224 pages. 18,00€.

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