« La sage-femme d’Auschwitz » : Anna Stuart et la solidarité féminine dans l’enfer des camps

Cette histoire est, hélas, de celles qui furent authentiques. Ce roman s’inspire de la vie de Stanislawa Leszczynska, sage-femme qui vivait à Lodz et qui, parce qu’elle avait commis la faute d’aider des juifs reclus dans le ghetto, avait été ensuite déportée à Birkenau où elle continua d’exercer son métier.

Il a été établi, d’après les témoignages, qu’en deux années d’incarcération, Stanislawa mit au monde presque trois mille enfants, sans perdre aucune mère et aucun bébé pendant l’accouchement.

Dans le roman d’Anna Stuart, Stanislawa est devenue Ana Kaminski, sage-femme chrétienne qui croit « au caractère sacré de toute vie humaine ». Pour les besoins d’équilibre romanesque, l’auteure a créé le personnage d’Ester Pasternak, jeune infirmière juive qui accompagne Ana et l’aide dans sa pratique.

Dans le sinistre train qui les menait à l’enfer de Birkenau, Ruth, la mère d’Ester, est morte ; mais, juste avant de mourir, elle a confié Ester à Ana : « C’est votre fille maintenant ». Cette phrase résonne étrangement dans la pensée de la sage-femme puisque c’est elle, quelques années plus tôt, qui avait accouché Ruth et mis Ester au monde.

Pour elle, d’une certaine manière, tous les bébés qu’elle a pu faire venir au monde sont un peu ses bébés.

C’est ainsi qu’en trois parties successives — Lodz, à partir du 1er septembre 1939, Auschwitz-Birkenau à partir d’avril 1943, puis Lodz à nouveau en mars 45 —,s’entremêlent les destins croisés des deux femmes, Ana et Ester, la sage-femme et l’infirmière. Celle qui croyait à Jésus et celle qui croyait à Yahvé.

Comme si, quelles que soient les conditions historiques, la solidarité et la sororité pouvaient encore exister et permettre, en s’entraidant, de franchir les portes de l’horreur pour retrouver l’humain.

D’abord, et surtout, ce roman est l’histoire d’un espoir, l’histoire de la vie toujours présente, de la possibilité d’un lendemain différent. Pour s’occuper de ses patientes, Ana ne dispose que « de couvertures crasseuses infestées de vermines, de l’eau sale et une paire de ciseaux à manucure rouillés ». Mais elle œuvre tout de même. « Il n’y a pas de place pour les bébés à Auschwitz » déclare le docteur Rohde, responsable nazi de la « maternité ». C’est bien pourquoi, lorsque les bébés juifs naissent, une criminelle dérangée, Klara, et sa prostituée d’aide de camp les noient dans un seau d’eau sale. Toute nouvelle naissance est ainsi à la fois imminence d’une souffrance fulgurante et promesse d’un espoir toujours possible, du renouveau de la vie même dans les pires conditions d’atrocité.

La seule possibilité d’échapper à la mort immédiate c’est que le bébé puisse vaguement ressembler à un aryen, qu’il soit blond, si possible aux yeux bleus. Dans ce cas il survit, on le fait quitter le camp, et il est adopté par une famille allemande.

Alors, Ana et Ester imaginent un stratagème : tatouer, sous l’aisselle du nouveau-né, le numéro matricule de la mère. Par une sorte de retournement ironique, le tatouage, symbole même de l’acharnement des nazis, devient promesse de retrouvailles futures pour les mères juives survivantes.

Ce roman analyse également, de façon subtile, durant les longues années de l’occupation allemande, la progressive dégradation des conditions de vie, l’obligation de recourir au compromis pour survivre, la nécessité d’oublier l’idéal personnel pour conserver au moins l’espoir.

Ainsi, Philip, le mari d’Ester, contraint de coudre les étoiles jaunes sur les manteaux, petit boulot comme un autre pour survivre ; ainsi Ana qui met au monde des bébés destinés à être aussitôt tués ; ainsi Pfani qui préfère être transférée au Pull, le bordel, de façon à bénéficier de conditions de vie légèrement moins inhumaines ; ainsi Chaïm Rumkowski, Président du Conseil Juif de Lodz, qui conseille à ses administrés de partir en train pour les camps préparés par les allemands, et dans lesquels il y aura « plus de place, un air plus sain, et davantage de travail en plein air » que dans le ghetto. L’un de ces camps se nommait Auschwitz.

Sous les apparences d’un roman à la lecture facile, nous nous trouvons face à une analyse historique subtile qui tente de cerner au plus près les angoisses et les tourments de deux femmes prises dans le cyclone de la terrible Seconde Guerre mondiale, au cœur même de la Shoah.

« L’heure est venue de connaitre la vérité. Et de voir si nos cœurs pourront guérir » réfléchit Ana après avoir vécu ces événements.

La sage-femme d’Auschwitz, d’Anna Stuart, aux éditions City. 304 pages. 20,00€.

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