« Nicolas de Staël », une rétrospective au Musée d’Art Moderne de Paris

Nicolas de Staël est un mythe, et le mythe a tendance à masquer l’œuvre. Né à Saint Pétersbourg en 1914, le baron Nikolaï Vladimirovitch Staël von Holstein, connu sous le nom de Nicolas de Staël, voit la révolution bolchevique bouleverser son enfance et sa vie.

A cinq ans, il assiste à la mort de ses parents dans le plus total dénuement et il est confié, avec ses sœurs, à une famille belge. Exilé, rejeté, il demeurera apatride jusqu’à l’âge de 34 ans. Nicolas de Staël en gardera dans l’âme, sa vie durant, une mélancolie et une instabilité qui finiront par lui être fatales. On ne traverse pas la nuit de l’être en restant indemne.

Son père adoptif veut faire de lui un ingénieur, mais Nicolas s’obstine : il sera peintre. Dans l’urgence et la fièvre, il va œuvrer durant à peine une quinzaine d’années en produisant un travail colossal : plus de mille œuvres recensées.

Sa fille ainée raconte une anecdote : il était en famille, dans le sud, un jour d’été, quand il s’étonna de voir des membres de sa famille occupés à jouer aux cartes. « Ils sont fous, s’exclama Nicolas, ils perdent leur vie« . Lui, Nicolas, ne voulait surtout pas perdre sa vie ; étonnant paradoxe chez celui qui devait, plus tard, encore jeune, se l’ôter lui-même.

Il peignait, passait son temps à peindre ou, au moins, à dessiner, noter, croquer sur le vif pour, plus tard, travailler et retravailler dans la solitude de son atelier.

Nicolas de Staël consacre son temps à chercher ; et quand il pense avoir trouvé, il casse et cherche autre chose, plus loin, plus difficile. Quand il cherche, ce n’est jamais du côté où vont les autres : le figuratif triomphe, lui s’essaye à l’abstraction ; l’abstraction semble l’emporter, de Staël revient au figuratif.

Il est le plus abstrait des peintres figuratifs, ou alors le plus figuratif des peintes abstraits.

C’est que, dit-il, « le peintre aura toujours besoin d’avoir devant les yeux, de près ou de loin, la mouvante source d’inspiration qu’est l’univers sensible« . Pour autant, il ne « représente » rien de précis, il n’est pas du côté d’un réalisme appliqué. D’ailleurs, la majeure partie de ses œuvres n’ont pas de titre, elles s’intitulent Compositions et ce sont, d’abord et surtout, de grands et large aplats de couleurs qui se complètent, se contredisent, s’harmonisent, s’unissent. « Je ne crois pas aux titres » écrit-il, parce qu’il n’y a jamais d’ « idée littérairement traduisible« . Un peu comme son grand ami René Char dans le domaine de la poésie, de Staël, dans le domaine de la peinture, est le maitre de la formule, aussi lumineuse que dense, aussi évidente que complexe.

Nicolas de Staël est instable, il est en déplacement permanent, dans sa tête et dans sa vie. Lorsqu’en 1953, la famille est installée à Ménerbes dans ce qui semble être le lieu familial définitif, le Châtelet, nid d’aigle de lumière et de vent, sa fille, encore toute petite, confie qu’elle avait tout le temps peur « qu’il s’en aille« .

De même, Denise Colomb, la photographe, lorsqu’elle le rencontre à l’été 1954, se rend chez lui pour une séance de poses : de Staël l’attend, tout en blanc devant ses toiles, et il ne cesse de se placer sur le côté du cadre, comme s’il voulait, en permanence, partir. D’ailleurs, en plein milieu du cadre figure un sac à dos, comme si le voyage était inévitable. Denise Colomb revient le lendemain, elle exige du peintre qu’il s’habille de noir et qu’il pose devant un mur nu, sans aucun tableau. C’est la série de la fameuse photo : Nicolas de Staël debout, bras croisés, l’air à la fois triomphal et revêche, qui est saisi en plein cadre, incapable de s’évader.

D’ailleurs, la peinture de Nicolas de Staël est un voyage. Un très long voyage de quinze années, qui va de l’ombre à la lumière ; des brumes glaciales de Saint Pétersbourg jusqu’au soleil vibrant d’Antibes ; du noir initial de Composition en noir jusqu’au rouge final du Concert ; de la matière brute à l’idée ; de l’épaisseur de la peinture travaillée au couteau à la luminosité gracile des dernières œuvres telles Les poissons ou Les mouettes ; du grillage noir qui cadenasse la toile Hommage à Piranèse jusqu’à la feuille de salade du Saladier, subtilement esquissée d’un mouvement du poignet.

Ce voyage prend fin à Antibes, le désespoir en est l’achèvement. Après avoir rendu hommage à Jeanne Polge dans Nu couché bleu – Jeanne qu’il ne pouvait aimer au grand jour -, et après avoir recouvert d’un rouge vif prémonitoire la surface de sa plus grande toile, Le concert, six mètres sur quatre, Nicolas de Staël monte au sommet de son atelier d’Antibes pour se jeter du haut du toit terrasse.

Quarante et un an durant, il aura lutté contre la pieuvre du désespoir et cet homme déchiré de chagrin aura consacré sa vie à peindre la vie.

Nicolas de Staël, jusqu’au 20 janvier 2024 au Musée d’Art Moderne de Paris.

Si vous désirez aller plus loin :

Nicolas de Staël, hors-série aux éditions Beaux Arts. 76 pages. 13,00€.
Nicolas de Staël, catalogue de l’exposition, aux éditions Paris Musées. 398 pages. 49,00€.

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