« Sorry we missed you », le nouveau film-choc de Ken Loach

Sorry we missed you : c’est la formule en tête de la fiche qu’il doit laisser lorsque son client est absent au moment de la livraison. Car il livre : comme des milliers d’autres, il pratique ce métier d’esclave moderne au service de notre soif commune de consommation, ici, ailleurs, partout, jusqu’au fin fond du monde…

Lui et sa femme exercent des métiers de service, d’asservissement : lui, il livre, souvent des portables, elle, elle nettoie la merde des petits vieux et leur tient compagnie quand la famille est défaillante.

Sorry we missed you : c’est aussi ce qu’on pourrait leur dire, à elle comme à lui, pour s’excuser de cette existence dont ils ont loupé les occasions, toutes les occasions. Comment voudraient-ils que leur grand flandrin d’adolescent éprouve l’envie de travailler à l’école ? Pour parvenir à quoi ? Ressembler à papa ?

Sorry we missed you : c’est le pénible, dramatique, inexorable chemin de croix que vit cet homme ordinaire, perdu au milieu des siens. C’est notre frère, notre ami, notre voisin. Il s’appelle Turner mais lui, il ne peint pas grand-chose, puisqu’il est « tout dans les muscles et rien dans la tête » selon la formule dégradante qu’il emploie envers lui-même. Personne n’est coupable totalement de ce drame qu’il vit sous nos yeux, si ce n’est la violence sournoise d’un ordre économique qui bafoue l’individu en lui faisant croire, sommet du ridicule et de la perversion, qu’il est l’unique responsable de son propre destin, qu’il faut s’endetter aujourd’hui pour mieux s’enrichir demain, et que tout ira mieux dans six mois, ou six ans, ou six siècles, ou six vies… à condition de travailler quatorze heures par jour, de ne plus s’alimenter et de laisser grandir ses enfants sans soins ni garde-fou.

Sorry we missed you : ce n’est pas du cinéma, c’est une leçon de choses qui montre la mort à l’œuvre, en permanence, dans nos société policées, peaux lissées, plissées. La mort à l’œuvre, dans le quotidien, y compris les rires et les rares joies. C’est poignant et tragique de vérité crue. Dehors il fait gris, et presque on s’en fout…

Sorry we missed you, de Ken Loach. Actuellement en salle.

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