« The world of Banksy » : le street art à l’honneur à l’Espace Lafayette-Drouot

Banksy ne fait rien comme tout le monde, et surtout pas l’art. Banksy est ici, ailleurs, partout, sauf là où on l’attend. Banksy ne donne pas de leçons, il se contente de poser des questions, dont celle centrale du pourquoi : pourquoi la peur ? pourquoi les morts ? pourquoi les impasses politiques ? pourquoi les guerres ? pourquoi le racisme ?

La motivation de ce street-artiste, telle que la donne à voir l’exposition de l’Espace Lafayette-Drouot, c’est d’interroger le monde et les vivants, le monde et ses logiques, le monde et ses impostures. Et l’on se rend vite compte, dès la première salle, à quel point il n’est pas vraiment question ici d’art au sens strict du terme, mais de vie, d’humanité, de réalité. Avec Banksy volent en éclat les concepts d’œuvre d’art, d’original et de copie, de musées et d’exposition. Banksy est tout sauf un artiste tel que le définissent nos manuels des beaux-arts : il graffe, tague, peinturlure, invente, métamorphose, et les bombes qu’il lance sont bien réelles, mais elles sont de peinture…

Banksy ne mène aucune recherche esthétique, du moins de façon classique. Son travail est d’abord, et surtout, destiné à être efficace. La ligne est claire, le trait précis, la composition simple mais pensée, la couleur est rare et elle doit, directement, servir le propos. D’une œuvre à l’autre, on est directement placé, à chaque fois, dans un autre moment de vie, un autre lieu, une autre idée : le lien c’est qu’à chaque fois on partage une indignation, une peur, un souvenir. On nous parle de Paris, de Londres, de New-York, d’Israël, de Gaza…

On nous parle de guerres, de conflits, de terrorisme, de racisme, de violences, de surconsommation, d’absurdité, de mise en danger des espèces animales, de la planète, de la vie…

Et, à chaque fois, Banksy le fait avec une note d’humour, parfois sarcastique, et en se référant à une iconographie connue de tous. Ainsi, la petite fille vietnamienne, apeurée par les bombes et courant nue dans les relents de napalm : chez Banksy deux silhouettes sinistrement souriantes lui donnent la main, celle de Mickey et celle du clown Ronald Mac Donald.

La photo qui créa notre indignation, jadis, mêlée aux symboles de ce qui, de façon indirecte, créa l’horreur : un petit dessin qui vaut une longue analyse.

A chaque fois, Banksy est efficace et s’il est une qualité première et indéniable de ses œuvres, c’est celle d’être, à chaque fois, immédiatement lisibles. Banksy a retenu et prolongé la leçon de Duchamp et des surréalistes : « ceci n’est pas de l’art » semble-t-il s’acharner à dire. Ceci est notre monde, notre vie, notre réalité. Comme si, en quelque sorte, il jouait sur les mots et les concepts « ceci n’est pas (seulement) mon œuvre, mais l’œuvre de nous tous ! » En cela, très précisément, il ne peut qu’évoquer les travaux et les recherches d’un autre grand créateur : Ben.

L’espace Lafayette-Drouot semble idéal pour une telle exposition : l’aspect de vaste remise désaffectée, les murs de briques brutes, quelques poutres de noir vêtues et des lumières crues. Rien de tel pour mettre en valeur des œuvre qui sont, le plus souvent, vouées à l’éphémère et d’une facture simple et franche. Peut-être pourra-t-on déplorer l’aspect pléonastique de certains cartels, certains même à la limite de la naïveté. On eût sans doute pu proposer davantage de mises en perspective historiques et politiques, en particulier dans toute la partie qui concerne le conflit israélo-palestinien.

En complément de programme, quelques vidéos, dont celle montrant Banksy, lui-même, installé près des quais de Seine et vendant ses toiles au prix record de soixante dollars : à l’issue de la journée, il en avait à peine écoulé une dizaine. Encore une performance amusante et qui montre notre difficulté à nous situer par rapport à l’art : si Vinci avait proposé La Joconde dans la rue, il n’aurait attiré que les regards intéressés de celui qui songeait à repeindre son salon.

Si vous désirez aller plus loin :

Guerre et spray, de Banksy, aux éditions Alternatives. 240 pages. 25,00€.

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