5 questions à… Souheil ben Barka, réalisateur du film « De sable et de feu »

Cultures-J : Souheil ben Barka, bonjour, et merci de nous recevoir dans le cadre de la sortie en salle de votre film De sable et de feu, que vous venez de réaliser. Dans ce nouveau long-métrage, vous portez à l’écran deux personnages ayant réellement existé : Domingo Badia, qui prendra l’identité du prince Ali Bey al Abbassi, et Esther Stanhope, qui deviendra quant à elle reine de Palmyre. Pourquoi ces choix, ces destins incroyables ?
Souheil ben Barka : Jusqu’en 2012, je n’avais jamais entendu parler de Domingo Badia, et encore moins de Lady Hester Stanhope. En 50 ans de carrière, je n’ai réalisé que huit longs-métrages parce que selon moi, un film, c’est d’abord le scénario, ensuite le scénario. J’ai grandi à Cinecittà, à Rome, en pleine effervescence du « star system » et j’avais compris que quand votre scénario plait à des acteurs reconnus, les fonds ne posent plus problème pour la réalisation du film.
En 2012, alors que j’étais en repérages pour le film que je comptais faire sur Léon l’Africain, j’avais reçu de mon coproducteur espagnol un livre : Ali Bey el Abbassi – Voyage au Maroc en 1803. Après la lecture d’une centaine de pages, j’avais abandonné. Cet Ali Bey n’y parlait que de son séjour au Maroc où il était très bien reçu par le Sultan et sa cour.

C.-J : Sur quoi se sont portées vos exigences concernant le choix des acteurs, l’espagnol Rodolfo Sancho, déjà vu dans la série historique Isabel sur la vie des Rois Catholiques, et l’italienne Carolina Crescentini, vue récemment dans Une famille italienne ?
S. b. B. : Je tenais à respecter le côté espagnol de Domingo. Durant le casting à Madrid, Rodolfo Sancho s’était nettement imposé, et bien évidemment j’avais vu aussi toute la série historique Isabel et bien d’autres. Quant à Carolina, je la connaissais bien avant Une famille italienne. Elle était déjà la « Marion Cotillard »’ italienne. J’avais exigé qu’elle apprenne à monter à cheval. Elle a surmonté sa peur mais c’était la condition incontournable pour le rôle ; deux mois plus tard, elle était la parfaite anglaise. Tous les personnages qui gravitent autour des deux protagonistes étaient des caractères remarquables de leur époque : Napoléon, Talleyrand, le Sultan Moulay Slimane, le roi Charles IV d’Espagne, etc. Il fallait un casting à la hauteur de ces personnages.

C.-J : Depuis combien aviez-vous envie de mener à bien cet ambitieux long-métrage épique ?
S. b. B. : Après avoir lu le livre sur Ali Bey, j’apprends que la population de Tanger s’est opposée à la démolition de la statue d’Ali Bey (bizarre !!! Pourquoi une statue d’Ali Bey ?) En même temps, l’Académie des Sciences de Rabat faisait un colloque sur lui. C’est là que j’ai appris que son vrai nom était Domingo Badia, un espion, le premier chrétien à pénétrer à l’intérieur de la Kaaba, à la Mecque. Intrigué, je n’ai pas hésité une seconde à me rendre à Paris, à la Bibliothèque Nationale, où je suis resté près de quatre mois. De retour à Rabat, j’avais plus de 3.000 photocopies et documents sur Domingo Badia et Lady Hester. L’écriture du scénario sur « ces destins incroyables » comme vous l’écrivez vous-même allait prendre trois ans, et j’avais associé à l’écriture le scénariste Bernard Stora.

C.-J : Vous accordez une place importante aux sciences et à l’étude dans ce film : vol en montgolfière, astronomie, l’université Al Quaraouiyine de Fès, la plus ancienne du monde… A titre personnel y êtes-vous sensible, ou était-ce pour les besoins du film ?
S. b. B. : C’est vrai qu’avant d’être cinéaste, j’étais mathématicien, et pilote d’avions, mais c’est surtout que j’ai été fasciné par ces protagonistes hors-normes, à la fois hommes de sciences et de grande culture pour l’époque. Lady Hester n’était pas seulement la nièce et la secrétaire particulière du Premier Ministre William Pitt, elle dirigeait aussi d’une main de fer l’Angleterre lors de la maladie de son oncle. Le Roi George III pensait très sérieusement à la nommer Premier Ministre. Alors qu’elle était étudiante à l’Université, elle avait soutenu une thèse  brillante sur Isaac Newton, (l’astronome et le mathématicien) et non le philosophe. Dotée de pouvoirs exceptionnels, elle était pythonisse, Reine de Tadmor et de Palmyre. 
Quant à Domingo Badia, pour un sous-officier de l’armée (à l’époque), il parlait couramment le catalan, l’espagnol, le français, l’anglais et l’arabe. Il a été directeur de la Bibliothèque Nationale à Madrid pendant sept ans ; il a fait connaître aux espagnols toutes les œuvres de Montaigne, Montesquieu, Diderot et Atala de Chateaubriand, qu’il avait traduit quelques mois avant son départ pour le Maroc. Astronome exceptionnel aussi, c’est lui qui a trouvé que la distance héliocentrique de Jupiter doit se calculer sur la base de 1°,460-t-0,6977 et non 6974, comme le pensaient les grands astronomes de l’époque, l’anglais Nevil Maskelyne et le français Lalande. Il a conçu également pour l’armée espagnole une montgolfière à hydrogène pouvant transporter une vingtaine de soldats pour combattre l’ennemi du ciel. Malheureusement pour Badia, l’histoire risque de ne retenir de lui que son rôle d’espion.

A la première projection de mon film il y a trois mois, un critique marocain de cinéma Araib, écrivait : « 80 ans avant Lawrence d’Arabie, il y avait Domingo Badia ». Il y a trois semaines, c’est le journal espagnol ABC qui a consacré tout un article sur Domingo Badia, le « Lawrence d’Arabie du roi Charles IV ».

C.-J : Au cinéma, on ne vous avait pas vu derrière la caméra depuis de nombreuses années, depuis Les amants de Mogador en 2002 exactement. Qu’avez-vous fait durant tout ce temps ?
S. b. B. : J’aurais souhaité que cette question ne me soit jamais posée, mais comme j’ai donné mon accord pour cet entretien, voilà ma réponse : J’ai passé des années très difficiles entre 2003 et 2012. Alors que je venais de terminer le mixage de mon film Les amants de Mogador avec Max Von Sydow, Marie Christine Barrault, Claude Rich et Bernard Fresson, Toscan du Plantier l’avait visionné à Paris. Il l’a beaucoup aimé et m’a dit : « A mon retour du festival de Berlin, je m’occuperai personnellement de sa distribution dans toute l’Europe. » Hélas, comme vous le savez, il n’est plus jamais revenu de Berlin. Pour moi, cette disparition était une malédiction. Je pensais très sérieusement arrêter ma carrière, malgré l’insistance de mon ami et coproducteur de tous mes films, l’italien Leo Pescarolo, qui m’avait encouragé à reprendre l’écriture du scénario sur Léon l’Africain, que j’avais abandonné en 1980.
Malheureusement encore pour moi, c’est Pescarolo qui allait mourir devant moi à Rabat en 2006 pour insuffisance respiratoire. Il a fallu toute la douceur et l’amour de mon épouse pour que reprenne le projet de Léon l’Africain quelques années plus tard, jusqu’au moment ou j’ai assisté à ce colloque sur Domingo Badia et depuis… vous connaissez le reste.

De sable et de feu, en salle le 18 septembre 2019.

Propos recueillis le 2 septembre 2019.

A lire également :
« De sable et de feu » : épopée orientale pour deux destins incroyables

Si vous désirez aller plus loin :

Lady Esther Stanhope, de Philarète Chasles. 48 pages. 8,96€.
Voyages d’Ali-Bey el Abbassi (Domingo Badia y Leyblich) en Afrique et en Asie, de Ali Bey, aux éditions Hachette. 424 pages. 22,40€.

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