« Affaires personnelles » : une histoire de l’exil des Juifs de Pologne en 1968

Le dernier petit bijou littéraire paru aux Éditions l’Antilope, Affaires personnelles, d’Agata Tuszynska, évoque l’exode méconnu des juifs de Pologne à partir de 1968, sous forme de témoignages personnels recueillis auprès d’une trentaine de familles juives polonaises. Passionnant !

Agata Tuszynska, déjà auteure d’Une histoire familiale de la peur et de La fiancée de Bruno Schulz, est née à Varsovie. Écrivaine polonaise très en vue, elle est également journaliste, et dévoile avec Affaires personnelles une image de la présence juive dans la Pologne d’après-guerre.

Cinquante ans après 1968, elle a choisi d’aller à la rencontre de ces témoins – alors enfants ou adolescents contraints de fuir le pays et aujourd’hui dispersés à travers le monde – et de les faire parler. A partir de 1968 en effet, on constate la recrudescence d’une vaste campagne antisémite orchestrée par le régime communiste polonais  sur les familles juives, considérées comme des éléments anticommunistes et sionistes, suprêmes injures.

A travers l’histoire unique de chaque famille, on retrouve un point commun qui finalement les rassemble : la présence d’un courant antisémite dans toutes les instances, que ce soit écoles, administration ou entreprises, sous forme de  menaces, exclusions ou  rejet de certains postes de travail. Ambivalence certaine entre l’attachement à leur pays d’origine (et ce malgré les répressions, les contrôles et le manque de liberté) et leur désir de s’installer à l’étranger, en France, aux États-Unis ou en Israël.

A la lecture de ces témoignages émouvants, on remarque le profond attachement au régime communiste émanant de la plupart de juifs  détenant des postes  importants en tant professeurs, ingénieurs, ou fonctionnaires dans les domaines de l’économie, l’éducation, la sécurité, la culture ou la police… La plupart ont fait carrière dans le parti, le « POUP » et tenait à participer au réveil et à l’élan  du régime communiste, tout en gardant secrète leur appartenance et leur attachement au judaïsme, ainsi que leur passé douloureux pendant la Seconde guerre mondiale.

Le jeune Witek Goliat reprend les propos de sa mère :

« Je viens d’une famille traditionnelle. Avec tout ce que je sais des tragédies , pour moi, D.ieu n’existe pas. Mes enfants grandiront comme des gens normaux. Witek n’est pas circoncis. »

Autre constat de ces différents témoignages, l’accès à la culture et aux études supérieures était beaucoup plus prégnant chez les juifs que les non-juifs dans un même pays, comme en témoignent des descriptions sur le foisonnement culturel et les différentes manifestations artistiques – théâtre, concert, expositions… – dont bénéficiaient les jeunes juifs.

Un enfant de la famille Malgorzata témoigne :

« Mes parents croyaient au communisme  Pour eux, le judaïsme n’avait peu d’importance. On est des êtres humains , polonais ou autres, peu importe. Ils croyaient que l’antisémitisme avait disparu dans la nouvelle Pologne. Ils croyaient en l’égalité. »

Il existait souvent des différences, voire des conflits idéologiques d’éducation et de transmission des valeurs identitaires juives  au sein même des familles. L’adhésion  au régime communiste entraîne parfois des changements de prénom afin que la connotation juive disparaisse et soit transformée en un prénom « typiquement polonais ». Il fallait aussi compter sur de nombreux mariages mixtes qui rendaient difficiles les filiations.

On voit tout au long de ce passionnant ouvrage les conséquences des troubles pour la formation de la personnalité de la plupart de ces jeunes, tiraillés entre deux mondes.

« Chez moi, dira Joasia, on ne prononçait pas le mot  »juif » quand ils voulaient  dire que quelqu’un était juif ils utilisaient l’expression  »ex nostris », c’est à dire  »des nôtres ». »

Au cœur même des purges dans les administrations et les discriminations envers les juifs, certaines familles voulaient se fondre dans la culture polonaise dont les valeurs étaient « Polonité et Patriotisme », en tentant d’effacer leur passé juif à leurs enfants, et ce pour deux raisons principales : la volonté d’oublier le passé douloureux, et d’épargner leurs enfants et la croyance en la construction d’un monde nouveau communiste.

Qu’ils s’appellent Heniek, Anka, Anna, Henrik, Janek, Irena, Jaga, Magda, Halina, Witek, Adam, Stefan, Joasia, Urzula, Barbara, Krzysiek, tous formaient des groupes d’amis extrêmement liés et solidaires, malgré leurs histoires particulières. « Ils étaient des symboles mutuels de jeunesse et d’insouciance. Ils savaient qui ils étaient et d où ils venaient. » dira Héniek, ainé des groupes.

Agata Tuszynska dépeint les  départs de ces jeunes sur les quais de gare pour des destinations diverses telles qu’Israël, la France, les États Unis, le Danemark, le Canada ou la Suède principalement. Ils emportaient le minimum, pour un nouveau départ vers l’inconnu.

En 1989, une des jeunes du groupe de mars 1968, Anna, a organisé la première réunion des Emigrés de Mars à Ashkelon, en Israël, avec 1.200 personnes venues du monde entier. Ce groupe est resté soudé tout au long de leur vie, et leurs retrouvailles ainsi que des visites en Pologne trente ou quarante ans plus tard témoignent de cette  solidarité inconditionnelle d’appartenance à un destin commun.

Dans ce difficile exode – ou exil -, reste toujours d’actualité la question de la transmission envers leurs propres enfants, nés hors de Pologne, ayant parfois eux même contracté des mariages mixtes. Ils seront les porteurs du passé flou de leurs grands parents, n’ayant pu recueillir que des miettes de leur histoire familiale.

Tout l’intérêt de ce  livre porte  également sur l’authenticité de ces témoignages vivants, détaillés, d’une richesse et d’une véracité incroyables,  porté par un très gros travail de retranscription par thématiques, en faisant un livre unique à lire absolument.

Affaires personnelles, d’Agata Tuszynska, aux éditions L’Antilope. 384 pages. 23,50€.

Si vous désirez aller plus loin :

Wiera Gran, l’accusée, d’Agata Tuszynska, aux éditions Points. 408 pages. 7,50€.
Une histoire familiale de la peur, d’Agata Tuszynska, aux éditions Points. 576 pages. 8,30€.
La fiancée de Bruno Schulz, d’Agata Tuszynska, aux éditions Grasset. 400 pages. 22,00€.

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