« Apeirogon » : un message de paix et d’espoir signé Colum McCann

Un apeirogon est une figure géométrique qui possède un nombre infini de côtés, « une forme possédant un nombre dénombrablement infini de côtés ; il s’agit donc, pour le commun des mortels du moins, d’un impensable radical, un concept presque impossible à saisir, comme l’est également, par définition même, la réalité.

Ce roman de Colum McCann, un des plus grands romanciers irlandais actuel, est un apeirogon. Certes, il possède une trame narrative, celle de la rencontre entre Rami Elhanan, graphiste israélien, « jérusalémite de la septième génération » comme il se plaît à se définir lui-même, et de Bassam Aramin, palestinien, qui fit dans sa jeunesse de la prison pour ses activités politiques. Ces deux-là, d’emblée, n’auraient jamais dû se rencontrer : or, non seulement ils se rencontrent, mais ils ont en commun une douleur qui s’avère jumelle : celle de la perte d’un enfant.

Le 4 septembre 1997, sur la rue Ben Yehuda, en plein Jérusalem, trois terroristes se font exploser en public, emmenant dans leur mort Smadar, la fille unique de Rami. Presque dix ans plus tard, le 16 janvier 2007, Abir, la fille de Bassam, est abattue par un garde-frontière israélien sans aucune raison valable. Les deux pères endurent leur chagrin, et plutôt que de céder à un désir stérile de vengeance, militent dans un mouvement pour la paix entre les peuples et la reconnaissance de deux états indépendants.

Mais ce roman est un apeirogon, et d’abord parce qu’il va charrier en son lit — comme le ferait un fleuve — les mille et une conséquences des faits bruts.

Nous sommes aux antipodes du fait divers, du récit sans nuance tel que le pratiquent souvent les médias.

Pour comprendre, partager, expliquer, Colum McCann convoque l’art, l’histoire, l’actualité, la géographie, la philosophie, la technologie, la physique, la psychologie, l’artisanat, etc. Tout ! Il convoque tout au monde pour expliquer l’inexplicable, pour rendre sensible l’univers et tenter de lui donner un sens.

Un peu à la manière d’une comptine enfantine — le livre en possède l’évidence plaisante autant qu’une fascinante complexité —, chaque mot, chaque nom, chaque concept provoque immédiatement, dans le chapitre qui suit, une explication, une définition, une anecdote révélatrice.

C’est ainsi qu’autour de ce « petit pays d’Israël » — les personnages insistent à plusieurs reprises sur la petitesse géographique qui contraste avec l’intensité des passions et des affrontements —, on voit défiler les origines du « mayday » sur les fréquences radios, le dernier repas du président François Mitterrand, la visite de Jose Luis Borges en Israël au début des années 70, l’invention de l’explosif par les chinois, les dépôts de salpêtre sur les murs de la chapelle Sixtine, les amours du poète palestinien Mahmoud Darwich et de la danseuse juive Tamar Ben Ami, la passion des faucons de Sir Richard Francis Burton, les nombres amicaux, Einstein, le funambule français Philippe Petit, la création le 29 août 1952 du 4 minutes 33 secondes de John Cage, et puis, bien sûr, les oiseaux, tous les oiseaux du monde, libres au point de se défier des frontières, patries ou territoires.

Tout au long de mille et un chapitre, autant que dans la tradition des conteurs arabes, en deux longs pans — l’un qui s’élève de 1 à 500, l’autre qui dégravit, de 500 à 1 autour de l’explication centrale, le chapitre 1001 —, le roman fonctionne comme une sorte de machinerie encyclopédique, faiseuse de contes et de légendes.

Ce livre est une utopie pure qui pointe du doigt l’absurdité de tous les racismes, de toutes les exclusions, comme autant de simplifications abusives de la réalité.

Rami l’israélien, et Bassam, le palestinien, nous disent l’impossibilité de raisonner en se passant de l’autre.

Ce livre est un apeirogon, c’est-à-dire un rêve, celui d’un monde dans lequel on s’efforcerait de comprendre et d’embrasser la complexité de l’humain.

Apeirogon, de Colum McCann, aux éditions 10/18. 649 pages. 9,60€.

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