Ceci n’est pas un roman, et pourtant une histoire nous y est contée : celle d’un « contresens ». Ceci n’est pas un essai, et pourtant l’auteur s’y livre à une démonstration : elle des raisons de ce « contresens ». Ceci, au final, n’est pas un livre : c’est un livre sur Le Livre, un livre sur l’Humanité. Comme si la chair se faisait verbe, et l’inverse tout aussi bien.
Tout part d’un mot, le premier, « Bereshit », dont Pierre-Henry Salfati nous explique la traduction, « les » traductions, le sens, « les » sens, leur histoire et leurs conséquences, concrètes et toujours actuelles. On l’a depuis toujours, ce mot, traduit par « Au commencement ». Or, nous dit l’auteur, ce mot justement n’a jamais signifié le commencement. Il s’agit donc d’une erreur, d’une errance, d’un mensonge, d’un « contresens » : pourquoi ? comment ? de quelles façons ? et avec quels enjeux ? quelles conséquences ?
Voilà tout l’objet de cet ouvrage remarquable, brillant, fréquemment fascinant, et, par moments, totalement vertigineux.
Tout est contenu dans la première phrase, les sept premiers mots, de la Genèse, et surtout dans le tout premier de ces sept mots : dans les sens, les sous-entendus, les implicites. Et dans les lettres mêmes qui composent ces mots, dans l’ordre dans lequel ces lettres sont disposées. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, il ne s’agit ni d’un rhétorique boursoufflée, ni d’un jeu de l’esprit.
Si Bereshit ne signifie pas « Au commencement », alors cela signifie qu’on a voulu, pour des raisons historiques, politiques, créer de toute pièce une notion qui servait un dessein précis. Bien sûr, comme le souligne l’auteur, cela tient aussi aux spécificités de la langue hébraïque :
D’où l’immense difficulté qui consiste à « traduire » et, dans ce cas précis, à passer d’une langue ouverte sur les possibles à des langues fermées sur l’efficacité ; à passer de formules poétiques au sens noble du terme à des expressions prosaïques et purement factuelles ; à passer de la richesse à la rentabilité ; à passer de la temporalité sans fin à l’idée d’une chronologie stricte. De la langue hébraïque au grec, puis aux langues européennes, se joue le passage d’un univers, d’une façon d’être et de penser à une autre. C’est aussi cela, la traduction…
Tout le long de ce travail remarquable, on aborde la philologie, la philosophie, la religion, l’Histoire — celle des événements mais aussi celle des mentalités -, la sociologie, la géopolitique… Mais qu’on ne s’y trompe pas, il n’est nul besoin, pour savourer cet ouvrage, d’être un spécialiste ; nul besoin de pratiquer l’hébreu, ni même d’avoir lu la Bible ou d’être croyant. Tout juste a-t-on besoin — comme souvent dans cette vie — de faire preuve de curiosité et d’ouverture d’esprit.
Et qui plus est, il convient de souligner que l’ensemble bénéficie d’une écriture riche et savoureuse, emplie de formules puissantes et brillantes, et qui démontre tout à la fois la grande maîtrise et l’élégance d’expression de l’auteur. Qu’on se figure un moderne Victor Hugo qui se serait converti au judaïsme et viendrait nous en exprimer la quintessence, tel est le sentiment que laisse l’ouvrage de Pierre-Henry Salfati.
Le premier mot : Au commencement, de Pierre-Henry Salfati, aux éditions Fayard. 232 pages. 18,00€.
Si vous désirez aller plus loin :
Talmud. Enquête dans un monde très secret, de Pierre-Henry Salfati, aux éditions Albin Michel. 284 pages. 8,50€.
La Torah pour les Nuls, de Pauline Bebe, aux éditions First. 304 pages. 8,95€.
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