« Un poème de vie, d’amour et de mort » : Edvard Munch au Musée d’Orsay…

Pour bon nombre d’entre nous — et la faute en incombe à un certain film d’horreur très populaire —, Edward Munch se résume à une seule toile, son fameux « Cri », devenu icône incontournable à l’instar de la Joconde de Vinci ou de la Marilyn de Warhol. Et pourtant…

Pourtant, cette nouvelle exposition du musée d’Orsay le démontre, Munch est l’auteur d’une œuvre complexe, riche et d’une grande valeur artistique.

A l’âge de cinq ans, il est orphelin de mère. Heureusement que sa tante recueille la fratrie et initie l’enfant au dessin ; elle va ainsi le sauver de la détresse. Mais il n’a que quatorze ans à peine lorsque sa sœur ainée meurt, et elle aussi de la tuberculose. Désormais, pour Munch, la féminité sera marquée d’un caractère morbide. Il n’y aura plus d’amour heureux…

Edvard Munch n’a jamais appris à peindre, il a appris à souffrir, à pleurer, à saigner. Et durant soixante ans, c’est ce qu’il projettera sur ses toiles. La forme, chez lui, importe peu : il trouve très vite son expression, le trait large et marqué, la matière épaisse, les couleurs chatoyantes qui s’opposent, les formes qui, l’une à l’autre, se répondent et s’associent. Munch ne peint ni des portraits ni des paysages, mais l’un et l’autre à la fois : il peint des portraits de nature, d’arbre, d’herbe, de roc, de mer… Il peint des paysages humains, des vues de l’intérieur, des ouvertures sur l’être véritable, à la fois profane et sacré.

Au fond, bien entendu, Edvard Munch ne parle que de lui-même : l’exposition s’ouvre sur l’Autoportrait à la cigarette de 1895, un jeune dandy sûr de lui, qui nous observe avec une certaine condescendance et un rien de mépris dans le regard. Et elle s’achève avec l’Autoportrait de 1940-43, un vieillard au cheveu rare, au visage bouffi, vêtu d’un costume de squelette qui annonce la fin toute proche.

Mais tout en parlant de lui, Munch nous tend un miroir, il parle aussi de chacun de nous, de nos angoisses, de nos peurs, de nos désirs.

Munch n’est pas un peintre heureux. Il n’est ni poli, ni respectable, ni bourgeois. Lorsque le docteur Max Linde, l’un de ses mécènes, lui commande une fresque pour décorer une chambre d’enfants, Munch lui propose une sorte de farandole mélancolique, proche de la danse macabre, et la commande sera annulée. Pas étonnant que les nazis, dès 1937, aient considéré Munch comme représentant de l’art dégénéré : en Allemagne, toutes ses œuvres sont retirées des musées.

Munch est un homme de souffrance. Chez lui, l’amour est lié à la passion, à la déchirure, à la mort. Une femme enlace l’homme comme si elle le noyait dans sa longue chevelure rouge dénouée et, qu’en l’embrassant dans le cou, elle le mordait : au début, l’œuvre s’est intitulée Amour et souffrance, puis Munch l’a baptisée Vampire. Derrière la femme, une ombre expressionniste menaçante dit la mort à l’œuvre, comme ce sera plus tard le cas dans Le cri.

Munch est également un homme d’obsession : les thèmes sont repris, répétés, ressassés, quasi à l’infini. Il ne peut s’en détacher qu’après les avoir épuisés. Ainsi les jeunes filles sur le pont, images de la puberté, de l’enfance en perdition, de la métamorphose ; ainsi L’enfant malade, image de la sœur ainée dont il portera à vie le deuil, et au chevet de laquelle il va même convoquer le fantôme de la mère — Le lit de mort, 1895. ; ainsi la femme, éternellement porteuse d’une dimension autant macabre que sensuelle : la Madone de 1894-95 est entourée à la fois d’un fœtus et de représentations stylisées de spermatozoïdes.

Dans l’unique « tableau d’Histoire » de l’œuvre, La mort de Marat, il donne à Charlotte Corday les traits de son ancienne compagne, Tulla Larsen, avec laquelle il eut une relation mortifère, et il donne à Marat ses propres traits, en train de baigner dans son sang.

Munch se sent porteur d’un devoir d’obsession, et il l’assume quitte à vivre dans l’angoisse perpétuelle : dans la Soirée sur l’avenue Karl Johan, une foule d’anonymes aux regards vides se dirige vers le spectateur, comme autant d’êtres zombies sans cerveau ni pensée, tandis qu’une silhouette isolée part vers le fond de la toile : la silhouette de l’artiste.

Pas pour rien que Munch se sentait des affinités avec Baudelaire : deux solitaires maudits par leur époque et la rigueur de leurs principes.

Ce faisant, Munch a d’avance parlé de l’angoisse majeure de nos existences, et ce travail préfigurait de façon forte ce que seraient les interrogations fondamentales des XXè et XXIème siècles. L’œuvre de Munch nous parle : elle vient du fond du cœur de l’artiste, et elle nous va droit au cœur. D’un cœur à l’autre…

Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort, jusqu’au 22 janvier 2023 au Musée d’Orsay.

Si vous désirez aller plus loin :

Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort, hors-série, aux éditions Beaux Arts Magazine. 76 pages. 12,00€.
Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort, catalogue de l’exposition, aux éditions RMN. 45,00€.
Edvard Munch, l’enfant terrible de la peinture, de Arnaud Cathrine, aux éditions École des Loisirs. 91 pages. 8,70€.
Munch, d’Ulrich Bischoff, aux éditions Taschen. 96 pages. 9,99€.

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