« Fuck America », le roman d’Edgar Hilsenrath sur les planches

Avec un titre pour le moins virulent, mais qui résume parfaitement la teneur du récit, Fuck America, le roman au vitriol d’Edgar Hilsenrath, très largement inspiré de sa propre existence, est actuellement présenté sur la scène de la Manufacture des Abbesses.

New York, 1952. Après treize années d’attente, dont quatre de guerre, Jacob Bronsky, survivant de la Shoah, obtient un visa pour les Etats-Unis. Terre de liberté, de rêves et surtout de fantasmes, il espère lui aussi y trouver son « american way of life ». Sans trop travailler bien sûr, car Jacob est un peu fainéant sur les bords.

Mais la réalité va vite se révéler bien différente…

Rejeté par une Allemagne nazie qu’il a fuie et par une Amérique qui ne veut pas de lui, difficile pour le petit émigré juif de trouver sa place. Ou tout simplement « une » place.

Quémandant à son agence de placement des jetons de métro pour se rendre aux petits boulots qu’elle parvient à lui décrocher, Jabob Bronsky accumule les expériences infructueuses, de serveur à promeneur de chiens, en passant par portier de nuit. Il loge dans des hôtels miteux, entourés d’ivrognes et de clochards, et ne songe pour ainsi dire qu’à ses pulsions sexuelles, qu’il assouvit auprès de prostitués des bas-fonds qui s’offrent à lui pour trois malheureux dollars.

Client fidèle d’un delicatessen à l’angle de Broadway et de la 86ème, où se réunit une communauté juive ne parlant que de retour en Europe, Jacob Bronsky y écrit chaque nuit un livre sur son expérience traumatisante de la Shoah, des camps de concentration, et son statut d’émigré au pays de l’oncle Sam. Son titre ? Il est tout trouvé : Le branleur. Ou le récit quotidien d’une vie misérable.

Aucun doute, Le branleur sera un best-seller !

Au rythme de projections d’œuvres de Hopper ou d’extraits de Nuit, le premier roman d’Edgar Hilsenrath, Fuck America est porté par un casting de cinq comédiens énergiques et habités, entraînant le public dans la folle quête de reconnaissance et d’assouvissement sexuel de Jacob Bronsky. Jour après jour, nuit après nuit, du bureau de placement aux cuisines d’un restaurant, des ruelles mal-famées de la Grosse Pomme au delicatessen dans lequel il rédige son chef-d’oeuvre , des dizaines de tableaux invitent les spectateurs à suivre le quotidien déjanté de cet immigré pour qui solitude et pauvreté riment avec survivance.

Des situations loufoques, des monologues crus, des dialogues incisifs, qu’on se le dise, Fuck America n’a rien de conventionnel. Et encore moins lorsque Jacob Bronsky ironise sur la Shoah. Une ironie qui vaudra d’ailleurs à Edgar Hilsenrath bien des vicissitudes à l’époque, dans sa quête d’un éditeur. Paradoxalement, ce sera dans cette Amérique désenchantée que Fuck America rencontrera son premier grand succès.

Créé en juillet 2017 dans le cadre du festival Off d’Avignon, Fuck America est mis en scène par Laurent Maindon, qui a découvert Edgar Hilsenrath avec Le nazi et le barbier, l’un de ses plus gros succès.

« Je suis tombé sous le charme de Fuck America alors même que je cherchais à travailler à l’adaptation d’un roman. L’univers du New York des années 50, l’exil de cet écrivain en devenir, l’humour et la profondeur de ce personnage, Jacob Bronsky, la liberté de ton d’Hilsenrath ont résonné avec mes interrogations actuelles de metteur en scène. Comment prendre une distance poétique pour parler de l’exil et de la migration sans systématiquement coller à la réalité médiatico-journalistique ? » Laurent Maindon.

Multi-récompensée, l’oeuvre littéraire d’Edgar Hilsenrath a été traduite en 18 langues et s’est vendue à plus de cinq millions d’exemplaires dans le monde. Edgar Hilsenrath, aujourd’hui âgé de 92 ans, vit à Berlin.

Fuck America, actuellement à la Manufacture des Abbesses.

Si vous désirez aller plus loin : 

Théâtre du Rictus

Fuck America, d’Edgar Hilsenrath, aux éditions Le Tripode. 320 pages. 11,50€.
Le nazi et le barbier, d’Edgar Hilsenrath, aux éditions Le Tripode. 465 pages. 13,50€.
Nuit, d’Edgar Hilsenrath, aux éditions Le Tripode. 600 pages. 13,90€.
Les aventures de Ruben Jablonski, d’Edgar Hilsenrath, aux éditions Le Tripode. 266 pages. 19,00€.

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